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Le Concours Eurovision de la chanson (Eurovision Song Contest ESC), qui a lieu cette année à Bâle, est depuis longtemps plus qu’un spectacle pop inoffensif. Entre protestations, tensions politiques et demandes d’exclusion d’Israël, la question se pose à nouveau : à quel point l’ESC peut-il – ou doit-il – être politique ? Stephan Jütte, théologien et éthicien, commente le débat et plaide pour une défense résolue de l’ouverture culturelle : « L’ESC ne devrait pas juger qui peut se produire – mais montrer ce que la diversité peut faire.
Le Concours Eurovision de la chanson n’est pas seulement un événement pop avec des effets pyrotechniques, des machines à vent et des poses criardes. Il est aussi, comme souvent, une tribune pour les conflits politiques, l’indignation morale et les négociations culturelles. Tandis que l’on manifeste à l’extérieur sur la Barfüsserplatz, des rêves de scène scintillent à l’intérieur sur des écrans LED. Israël est présent. Et pour beaucoup, c’est un scandale.
Nemo, vainqueur suisse de l’ESC 2024, s’est publiquement prononcé contre la participation d’Israël. Des voix s’élèvent également dans le camp propalestinien pour demander son exclusion. Le reproche : ceux qui commettent des crimes de guerre ne devraient pas avoir de scène. Les huées contre la délégation israélienne à Bâle dimanche, le geste menaçant contre la chanteuse israélienne Yuval Raphael et la plainte qui en a résulté le montrent : Les tensions sont réelles. Et elles sont audibles.
Yuval Raphael, née en 2000, est une survivante du massacre du 7 octobre. Elle s’est cachée sous des cadavres pendant que les terroristes du Hamas attaquaient des abris de missiles. Aujourd’hui, elle chante. Sa chanson « New Day Will Rise » sonne comme une promesse défiante : Nous sommes toujours en vie. Et nous ne perdons pas espoir. Est-ce de la propagande politique ? Ou simplement la voix d’une jeune femme qui a vécu la violence et y a survécu ? Peut-être les deux. C’est peut-être là que réside la vérité de l’ESC.
Car ce concours n’a jamais été neutre. Nicole chantait déjà « Un peu de paix » en 1982, la Grèce accusait la Turquie en 1976, et Conchita Wurst est devenue la figure de proue de la visibilité queer en 2014. L’ESC est un laboratoire culturel où la compréhension européenne de soi s’exprime dans une robe à paillettes. Même les victoires d’artistes d’Ukraine, du Portugal, d’Israël ou plus récemment de Nemo – en tant que personne non binaire – n’ont jamais été que des succès musicaux, mais aussi des messages de société.
La question n’est donc pas de savoir si l’ESC est politique, mais comment. Et qui écrit les règles ? L’Union européenne de radio-télévision (UER) insiste sur son impartialité. Mais elle agit politiquement lorsqu’elle exclut la Russie, suspend la Biélorussie, mais autorise Israël à participer. On peut critiquer cela. Mais il faut aussi le reconnaître : Les conflits ne sont pas symétriques. Le gouvernement russe mène une guerre d’agression contre un pays voisin. Israël est impliqué dans une guerre asymétrique avec une organisation terroriste.
Appliquer les mêmes critères, c’est méconnaître les différences. Et qu’en est-il de l’Azerbaïdjan ? Un pays qui réprime les médias indépendants, emprisonne des journalistes et a récemment mené une attaque militaire sur le Haut-Karabakh. Là aussi, il n’est guère question d’exclusion. Pourquoi ? Parce que la cohérence morale est une denrée rare en politique internationale. Et parce que l’ESC vit lui aussi dans des refus géopolitiques.
Il ne s’agit pas ici de whataboutisme, mais de la perception des différences. Cela fait une différence que des milliers de personnes aient manifesté ce week-end à Tel Aviv pour la fin de la guerre. Cela fait une différence que Yuval Raphael soit une victime de la violence terroriste. Mais il ne faut pas en déduire une casuistique, un système avec des lignes rouges et des principes fixes. Il serait bien plus utile de faire confiance à la force inclusive de l’ESC lui-même : ne pas se demander qui exclure, mais comment intégrer aussi des pays d’Afrique du Nord. Comment faire entendre la musique de Russie ou de Biélorussie sans confirmer la politique de leurs régimes.
C’est précisément pour cela qu’il ne devrait pas se demander qui exclure, mais comment en inclure davantage. Sa force politique ne réside pas dans la sanction, mais dans la séduction. La diversité peut être contagieuse. Lorsque des êtres humains issus de dictatures voient des hymnes pop colorés, entendent des chansons d’amour queer et remarquent que l’Europe ne chante pas seulement l’argent, mais aussi la liberté, c’est un triomphe silencieux. Un triomphe avec des paillettes.
Alors, débattons. Protestons aussi. Mais ne faisons pas de l’ESC un tribunal. C’est déjà un événement politique. Controversé, mais important. Et peut-être le plus européen que nous ayons. Un peu de paix, un peu de diversité. Ce serait déjà quelque chose.
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