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Incarnation

Ce volume interroge la notion d’incarnation de manière large – suivant le titre de l’article de André Gounelle. Ce quatrième volume de la collection À voix haute, peut-être un peu plus disparate dans le temps et dans les thèmes que les précédents. Cela n’enlève rien à son intérêt puisque le principe de la collection est de mettre à disposition des textes issus de conférences données par les enseignants de l’IPT.

Sur la représentation de Dieu

André Gounnelle (prof. honoraire de Nouveau Testament) pose un regard stimulant sur l’incarnation du Christ, invitant à ne pas la regarder de manière trop étroite. Pour Gounelle, en effet, l’incarnation commence avec la création du monde, quand l’Esprit ne se résout pas à rester simplement planer au-dessus du chaos informe et vide. « Pour être vraiment Dieu, et pas un vague esprit planant sur des eaux indistinctes, Dieu a besoin du monde (et donc il le crée) ; de même pour ne pas être ténèbres épaisses, gouffre abyssal, chaos inextricable, le monde a besoin de la parole de Dieu qui lui apporte forme et ordre, qui lui donne du sens. » (p. 36)

Et les humains n’ont jamais fini d’explorer la manière dont Dieu est Dieu pour eux. Dany Nocquet (prof. Ancien Testamant), à partir de la prière de Salomon au temple (1 R 8), explore la manière dont les textes bibliques ont été retravaillés au fil des siècles pour refléter les évolutions dans la compréhension de Dieu, depuis un Dieu qui se tient caché dans l’obscurité d’un temple auquel on offre des sacrifices jusqu’à un Dieu qui se tient dans l’ouvert du ciel et auquel on adresse des prières. La grande force des textes bibliques est de ne pas effacer la trace de telle compréhension, mais de mettre plusieurs représentations en tension, comme pour nous rappeler que le chemin n’est jamais fini, qu’on n’a jamais fait le tour de Dieu.

Entrée dans la pâte humaine

L’incarnation concerne en tout premier lieu Jésus, bien sûr, dont il est dit qu’en lui « la parole est devenue chair ». Le verbe devenir nous invite à penser l’incarnation comme un processus, une transformation, plutôt que comme un état stable et achevé. Processus et transformation qui nous concernent aussi : Paul, et à sa suite Luther, Érasme, Gounelle et bien d’autres, nous invitent à devenir des christs, c’est-à-dire pleinement humains, manifestant à notre tour, à la suite de Jésus, la manière dont Dieu agit dans le monde.

Cette vocation de laisser la parole de Dieu s’incarner au moins un peu en nous, adressée à chaque être humain, chacun-e s’en saisit de son mieux… et comme nous sommes encore en cours de transformation, il nous arrive de faire des erreurs massives, de rater la cible de la vie en Christ, et ce quelles que soient notre ferveur et notre appartenance religieuse. La conférence de Gilles Vidal (histoire du christianisme) défait les poncifs sur le lien « naturel » entre protestantisme et « bon côté de l’histoire ». Pour ne citer qu’un seul exemple, utilisé par Vidal, ce sont bel et bien des théologiens protestants, réformés, qui ont théorisé et justifié le régime d’apartheid mis en place en Afrique du Sud. C’est que l’être humain n’est pas achevé… Rappel salutaire à l’heure où les uns ou les autres, ici où là, prennent des postures messianiques !

Il est troublant de lire aujourd’hui dans la conférence d’Olivier Abel donnée en 2021 : « Malheur aux sociétés qui refusent la fonction des sentinelles, et aux États qui cassent les observatoires et les thermomètres, qui emprisonnent et bâillonnent les lanceurs d’alerte ! » (p. 82). Sa réflexion sur l’utopie, ses formes, ses leviers et ses risques nous interpelle : elle pointe à la fois la tentation de s’échapper du monde (qui n’a jamais scrollé interminablement sur un réseau social quelconque pour échapper à ses soucis?), et celle d’imposer de manière totalisante, et à terme totalitaire, une seule version du monde monde. Et Abel de réhabiliter les fonctions de l’utopie : une fonction d’alerte, une fonction critique, une fonction poétique d’exploration des possibles, et une fonction de préparation à l’action dans le monde. À l’heure où nos likes nous enferment dans des bulles qui nous ressemblent et limitent nos imaginaires comme nos interactions, j’aime l’éloge que fait Abel de l’hospitalité des récits et des imaginaires, la pluralité et la discussion qu’elle suppose.

Appréciation

Ce volume, comme les précédents, se lit facilement, tout en donnant largement à penser !

Incarnation, coll. À voix haute, vol. 4, Lyon, Olivétan, 2022

Sandrine Landeau est pasteure dans l’Église protestante de Genève (région Centre-Ville rive gauche), après une première vie professionnelle comme ingénieure dans le domaine de la recherche forestière.

 

 

 

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Sandrine Landeau

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Pasteure dans l'Église protestante de Genève

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