Après une année de rencontres de projets pionniers et de réflexions sur l’avenir des Églises réformées en Suisse romande, cet article prend le temps d’une photographie des dynamiques d’innovation qui caractérise le paysage réformé suisse actuel, avec un regard sur la Suisse romande et la Suisse allemande. Entre défis institutionnels et créativité locale, l’article discerne les contours d’une Église qui est en train d’arriver.
État des lieux
Pendant une année, j’ai pu rencontrer différents acteurs et actrices du développement d’Église en Suisse romande. 13 personnes au total, sur une dizaine de projets, dans 4 cantons romands. Nous avons échangé sur leurs projets, leur histoire, leurs défis et ce qu’il discerne de l’Église qui arrive. Dans cet article je fais un pointage sur ce que je perçois aujourd’hui des dynamiques du développement d’Église en Suisse romande, en jetant également un œil sur ce qui se passe en Suisse alémanique.
En Suisse romande
Il ne s’agira pas de dresser un inventaire complet, mais de mettre en évidence quelques dynamiques générales. Dans cet état des lieux, je laisse notamment de côté les innovations qui ont lieu dans le domaine de l’aumônerie et de la communication ecclésiale/spirituelle. Il y a quelques exemples liés à la catéchèse, mais ce serait également un domaine à explorer plus avant.
Vaud
En 2007, le synode de l’EERV donne à son exécutif le mandat d’établir un rapport sur la stratégie d’évangélisation. De fil en aiguille se constitue le Labo Khi (recherche et développement), qui va donner de nombreuses impulsions pour l’innovation durant sa phase d’activité principale (2014-2021). Il développe des outils d’animations pour le développement de projets et une culture de l’innovation au niveau paroissial. Il vulgarise un grand nombre de réflexions issues du monde anglican, mais aussi du monde catholique-romain. Il participe d’un réseau international, lié notamment au mouvement des Fresh Expressions of Church. Il documente un certain nombre de projets en Suisse romande (Brico-Church – 2017-2018), en Grande-Bretagne, à New York (2018) et à Paris. Il articule également les bases d’une conception pluraliste de la mission en Église (modèles missionnaires). Son activité a d’une manière ou d’une autre touché l’ensemble des églises réformées de Suisse romande. Le Labo Khi est toutefois entré dans une phase dormante depuis ce que l’on peut appeler la « crise des dotations » de l’EERV (2017-2020) et le non-renouvellement de l’équipe initiale. Une petite équipe de rédaction continue de documenter certaines activités sur le site internet (articles), mais le Labo ne joue plus le rôle moteur qu’il a pu avoir par le passé.
Le développement ecclésial se poursuit toutefois dans l’EERV autour de différents projets locaux ou régionaux, que ce soit dans le contexte d’activités de contact avec les familleS (Arc-en-ciel, Godlplay), dans l’écospiritualité (Détox la terre, À ciel ouvert), dans la vie communautaire (Espace 4C) ou la spiritualité plus largement (Gîte El Gire). Certains lieux comme Jardin Divers, l’Église Martin Luther King, la plateforme des inclusivités ou l’Église pour les geeks Open Source Church ont explicitement le statut de projet innovant dans l’organisation (ministères dits « pionniers »). Mais leur ancrage institutionnel est moins stable que ne l’est par exemple celui des « lieux phares » – Esprit Sainf, La Cathédrale – établis depuis plus longtemps.
Après une importante période d’activité en matière d’innovation, il apparaît que la dynamique n’a pas (encore) réussi à s’implémenter durablement dans le contexte de l’EERV. D’autres préoccupations sont aujourd’hui à l’agenda : notamment les grandes restructurations liées au projet « Église 29 ». Il reste encore à voir si ces restructurations permettront de dégager l’espace de créativité souhaité pour le développement d’initiatives au niveau local.
Genève
Du côté de l’Église Protestante de Genève (EPG), Le Lab (2015-2023) s’était profilé comme lieu d’innovation urbain, avec un gros accent sur la thématique de l’inclusivité. L’un des résultats tangibles a été notamment la pérennisation l’Antenne LGBTQI+ – que l’on peut considérer comme une forme d’intégration réussie d’un projet d’innovation. Avec la fermeture du Lab en 2023, ce n’est pas la fin de projets pionniers dans le contexte genevois. Il y a d’une part les projets de ministère sur le web concentré autour des personnalités de Carolina Costa et Marc Pernot, les activités pour les chercheurs et chercheuses spirituels liées à la Maison Bleu Ciel, mais aussi des dynamiques communautaires locales, à l’image de ce qui se fait dans la paroisse Rive-Gauche. Le fait que l’exécutif de l’EPG se soit doté d’un « secrétaire général adjoint de mission » (Emmanuel Roland) signale une volonté institutionnelle de persévérer dans la thématique de l’innovation. Une des dernières impulsions consistait en une série de soirées conférence-débat intitulée « caravane de la mission » (2023). Il faudra toutefois encore mesurer l’impact de cette fonction sur le terrain et sa capacité à générer les espaces dévolus à l’innovation.
Ailleurs en Suisse romande
Les initiatives en direction de l’innovation au niveau cantonal/régional sont plus éparses dans les autres Églises réformées de Suisse romande. Là comme partout il y a évidemment des initiatives ponctuelles (banc d’Église nomade) et certaines qui se sont installées (bénédictions pour animaux).
Arrondissement “Jura”
Le projet « Église en route » lié à l’arrondissement « Jura » des Églises réformées Bern-Jura-Soleure est l’un des organes les plus jeunes en matière d’innovation dans le contexte romand (2018). Malgré le petit pourcentage à disposition (10%), Adrien Despont déploie une belle énergie en soutiens aux initiatives locales. Il s’agit plutôt d’un projet d’appui, dans l’idée que l’initiative et la vision appartiennent essentiellement aux paroisses.
Neuchâtel
Actuellement, l’Église Réformée Évangélique du canton de Neuchâtel (EREN) est dans la phase de mise en œuvre de son propre processus de restructuration (EREN 2023). Un projet de plateforme recherche et développement avait été initié en 2021, mais ne sera plus reconduit en 2025, notamment pour des questions budgétaires. Lors d’un contact avec les cadres de l’EREN, un projet de présence dans les marchés m’avait été indiqué, mais la rencontre n’a finalement pas pu se faire. Le mouvement institutionnel va dans le sens du changement, mais la place organisationnelle laissée à l’innovation n’est pas claire. Il vaut la peine toutefois de rappeler ici que l’EREN a été la seule Eglise réformée romande à avoir mandaté une étude sur les Sinus-Milieu (2015). Cette étude permet de se faire une idée de la relation que l’Église entretient avec les différents groupes qui composent la société et offrent une base objective pour développer des projets en fonction de publics cibles définis. Étant la seule étude du genre pour le contexte romand, elle offre des indications importantes pour les acteurs de l’innovation en Église. Elle demande toutefois d’être mise à jour régulièrement pour rester pertinente.
Fribourg et Valais
Je n’ai pas eu d’entrée claire sur la thématique de l’innovation dans le cadre de l’Église Réformée Évangélique du canton de Fribourg – ce qui ne veut pas dire qu’il ne se passe rien sur le terrain. Je pense ici notamment au domaine de la catéchèse. Du côté de l’Église Réformée Évangélique du canton du Valais, j’ai pu explorer un exemple (Maison de Cana) qui se fait dans un contexte de collaboration œcuménique où l’Église catholique romaine a une plus grande présence. Mais il n’y a pas non plus de dynamique d’innovation profilée de manière plus générale au niveau des paroisses ou de l’Église cantonale.
Échelon romand et transverse
Au niveau supra-cantonal, l’Office Protestant de la Formation a donné des impulsions autour de la thématique de l’innovation via des formations ciblées « nouveaux publics ». Toutefois, et même si l’introduction de l’innovation dans la formation des professionnels est un signe fort pour l’intégration d’une logique d’innovation au sein d’une organisation, les restructurations et turbulences qui traversent actuellement la Conférence des Églises Réformées romandes interrogent quant à l’avenir de ces offres.
J’aimerais mentionner ici un dernier échelon : celui des dynamiques transverses. Je pense par exemple au projet du festival de jeunesse Battement Réformé : dans ce cas on a affaire à un projet qui nait d’une initiative de la base et qui est porté par elle, tout en bénéficiant d’un soutien institutionnel via la Conférence des Eglises Réformée romandes (CER). C’est un projet qui a été incubé dans le contexte d’activités jeunesse et de la formation des jeunes cadres en Église (JACK, catéchètes). Un cas exemplaire qui mériterait d’être étudié de plus près pour saisir les facteurs clefs d’un projet ecclésial émergeant qui ne repose pas uniquement sur les professionnels des organisations ecclésiales, mais où ceux-ci ne sont pas non plus absents. D’autres exemples de ce type existent tels les week-ends Holygames et les groupes Détox la Terre.
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La Suisse romande est passée dans les années 2010-2020 par une phase avec de nombreuses initiatives en matière d’innovation et de développement d’Église. Cette période a été une phase d’incubation pour de nombreux acteurs actuellement actifs sur le terrain et dans les institutions. Les réformes structurelles de certaines des Églises (Vaud, Neuchâtel) ne sont d’ailleurs pas complètement déliées d’enjeux annoncés et développés dans les lieux d’innovations. La thématique a toutefois eu de la peine à stabiliser dans l’institution. Les différents acteurs et actrices de l’innovation en suisse romande forment actuellement un réseau plutôt lâche. La publication en français du Manuel d’innovation communautaire a été l’occasion pour certains d’entre eux de tenter de retisser des liens – mais la dynamique se cherche encore des lieux de concrétisation.
Indépendamment de cette situation institutionnelle-organisationnelle, les projets vivants existent et internet offre une documentation accessible, qui permet de trouver l’inspiration, d’entendre les chances et les défis, les apprentissages aussi. Que ce soit sous le format d’articles de blog, de journal ou de podcast il y a de quoi faire ! Voici les principales sources que j’invite à consulter (liste évolutive):
- Le podcast L’Esprit du temps, animé par Jean-Christophe Emery (surtout les épisodes 1 Un esprit d’équipe, 2 L’Esprit du gospel au cœur de la ville, 4 L’Esprit créatif, 5 L’Esprit ludique de 7 à 77 ans.
- Les 5 épisodes du podcast l’Église qui arrive, que j’ai enregistré et publié en 2023 dans le cadre de mon mandat sur l’innovation dans l’EERV.
- La saison 2024 du podcast Explore, ainsi que les épisodes 1 Célébrer la vie et 6 Parole offerte de la saison 2023 (encore sous le titre de Difference).
- Le dossier « Repenser nos communautés » du journal Réformés.
- Les séries d’articles sur le site du Labo Khi (Églises réformatées, Impulsions, le blog)
- Les archives des rencontres Brico-Church (ateliers de recherche-action) organisées par le Labo Khi durant l’année 2018-2019.
Regard sur la Suisse alémanique
Je suis moins au fait du détail des dynamiques qui traversent la Suisse alémanique. Mais il me semblait être intéressant d’indiquer quelques développements qui ont lieu côté suisse alémanique qui mériteraient l’attention romande – on trouvera un certain nombre d’exemples dans le Manuel d’innovation communautaire.
Quelques projets-phares
Metal Church. Le pasteur bernois Samuel Hug a réussi à joindre ses deux passions : pour l’Évangile et pour le Heavy Metal. Commencé à l’horizon 2012, le projet a été officiellement reconnu par l’Église bernoise en 2022. On a affaire ici à un projet immersif, où l’Église se développe en rejoignant une culture, s’adapte aux préoccupations des personnes concernées, les rejoint dans leur code et leur réalité. Ce projet n’est pas resté cantonné aux célébrations dans un style métal (Heavy Sanctum), mais a mené au développement de l’aumônerie œcuménique du festival Greenfield (Ansprechbar). Deux émissions RTS religion permettent de se faire une idée de ce projet. Les jeunes de l’édition 2024 du BREF ont pu assister à une célébration « à la Metalchurch ». Un exemple qui me fait penser dans une certaine mesure à ce qui se développe du côté de Open Source Church et des Holy Games.
- Une « Metalchurch » fait des adeptes en Suisse alémanique (19 décembre 2022)
- Une Église pour les adeptes de Métal (13 mars 2023)
RefLab. C’est un projet important de l’Église réformée du canton de Zürich, bénéficiant d’une importante part de son budget. Fondé en 2020, le RefLab offre un espace numérique pour l’exploration d’une foi chrétienne ouverte, nomade, en recherche et en questionnement : l’image du feu de camp est centrale. Podcasts, articles de blog, Live Events permettent de nourrir la foi de chrétiens et chrétiennes en recherche de sens et d’un rapport renouvelé à leur foi. On est dans la catégorie post-évangélique, proche du public visé par le podcast Hérétiques ? de Jérémie Clayes pour le site Regards protestants. C’est aussi une plateforme pour commenter l’actualité politique et sociale dans une perspective chrétienne-réformée et un incubateur et attracteur pour des personnalités du milieu réformé alémanique. Son rayonnement ne se limite pas aux frontières locales mais touche tout l’espace germanophone – mais génère aussi des questions au sein du synode zurichois.
GellertKirche. On se trouve ici plutôt sur le versant communautaire, avec une orientation théologique conservatrice-évangélique – qui ne vient pas sans certaines polémiques. J’ai toutefois été marqué par le choix qui a été fait en 2014 par l’Église réformée de Bâle-Ville de mettre l’accent sur le développement communautaire – en sortes notamment de gagner en indépendance financière par rapport aux finances générées par les impôts ecclésiastiques. Lors d’un atelier auquel j’ai assisté, Lunkas Kundert (président d’Église) et Dominik Reifler (pasteur) ont insisté sur l’inversion de la balance entre services publics (actes ecclésiastiques, aumônerie) et travail pour la croissance de la communauté. L’accent est mis sur la participation et l’engagement de tout un chacun. Et la croissance semble jusque-là au rendez-vous.
Cadres institutionnels et transverses
Concept d’innovation. Dans le cadre de ses processus de réformes internes, l’Église réformée du canton de Zürich a adopté en 2022 un important concept d’innovation. Ce concept permet à l’Église de prendre activement en main la thématique de l’innovation, de légitimer le soutien et l’émergence de projets novateurs. Un crédit d’innovation de 5 millions a également été mis en place : celui-ci permet d’offrir des ressources aux départs d’un projet et sert de porte d’entrée à un réseau d’acteurs de l’innovation. L’adoption à la quasi-unanimité du concept vient de ce qu’il a été porté par une importante dynamique participative. J’avais effectué une traduction de ce concept dans le cadre d’un projet antérieur. On peut le trouver au lien suivant : Concept d’innovation de l’Église réformée du canton de Zürich.
Église qui bouge. De manière analogue au concept zurichois, l’union synodale Bern-Jura-Soleure a mis sur pied en 2021 un fond d’expérimentation qui permet là aussi de servir de tremplin à des initiatives locales et individuelles – Église en route est l’un des projets qui profite de ce fond. Église qui bouge se veut également un réseau qui permet de mettre en lien les projets entre eux, avec également des professionnels de l’Église cantonale – lié notamment au « service théologie ». Le site internet permet également de visibiliser les projets, en mettant notamment en évidence les contacts et les apprentissages acquis par les projets.
Réseau suisse des FreshX. Les Fresh Expressions of Church sont un mouvement de renouveau ecclésial issu de l’Église anglicane, qui vise notamment à ouvrir des portes pour le développement de l’Église en parallèle des structures établies (notamment paroissiale). Il a notamment mené à développer l’idée d’une économie mixte entre projets novateurs et projet établis au sein de l’Église. En 2014 la formation initiale et continue des professionnels d’Église en Suisse alémanique (A+W) a fondé le réseau suisse des Fresh Expression. Ce dernier a été relativement actif jusqu’en 2019, mais semble être dans une phase dormante maintenant. La dernière rencontre a eu lieu en 2023 et des impulsions sont prévues pour 2025.
Centre de compétence pour le développement ecclésial. En Suisse il s’agit du seul lieu qui thématise le développement d’Église et l’innovation en contexte réformé dans une perspective académique. Lié à la faculté de théologie de l’université de Zürich, le centre a été fondé en 2010 et est soutenu par les Églises réformées suisses alémaniques (Concordat). Dans ses missions, il veut notamment offrir un soutien à des projets ecclésiaux, en proposant un accompagnement et une expertise académique. En francophonie on trouvera une institution analogue dans l’Ecclesialab mené par le prof. Arnaud Joint-Lambert à Louvain-la-Neuve (contexte catholique romain). Le centre zurichois a produit pas mal de recherches, notamment sur les Fresh Expressions et l’Église dans le contexte digital. Récemment il a participé à une étude sur la catéchèse, accessible en Open Access. Le centre semble toutefois s’être éloigné du soutien à des projets ecclésiaux locaux – cette tâche semble être (re)tombée plutôt dans le giron des Églises.
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Un petit commentaire avant d’arriver à la fin de ce parcours : du point de vue institutionnel, il me semble qu’après une première phase d’exploration qui se dessinait dans les années 2010, on est aujourd’hui entré dans une seconde phase (post-Covid), peut-être plus institutionnelle, où l’on peut également constater un renouvellement des acteurs et des instances porteuses de l’innovation en Église. Si en Suisse alémanique la dynamique d’innovation semble s’être établie dans la structure ecclésiale, on ne peut pas (encore) en dire autant dans le contexte de la Suisse romande – bien que les chantiers de restructuration (Vaud, Neuchâtel, CER) soient peut-être liés aux impulsions antérieures. Un risque que je vois dans cette situation, c’est la perte, voir l’oubli des expériences qui ont été menées durant cette période en Suisse romande. Alors qu’une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices monte sur le terrain, il me paraîtrait important d’assurer un bout de continuité dans le partage des expériences passées.
Mais cet enjeu ne devrait pas masquer l’orientation sur ce qui advient, qui se trouve à la base de la dynamique d’innovation en Église.
L’Église qui arrive
Dans ce projet de podcast je suivais une intuition reçue du livre Gemeinde Neu Denken (2014), qui développe une perspective à la fois pragmatique et théologique-spirituelle sur le développement d’Église : l’Église ne se trouve pas uniquement derrière nous, dans le passé. Elle n’est pas non plus uniquement cet espace institutionnel et relationnel dans et avec lequel nous travaillons ou qui nous accueille actuellement. L’Église est aussi une réalité à découvrir dans l’exploration d’un terrain complexe et ambivalent, qui sollicite les chercheurs et les chercheuses dans leur intégralité (corps, âme, esprit, relation).
Il s’agit là d’une conviction théologique sur l’Église : celle-ci n’est pas une œuvre humaine, mais un don de Dieu lui-même (Église de Jésus-Christ, 1994, § 1.1 et 2.1). Non pas quelque chose à créer, mais une réalité à recevoir. La posture fondamentale pour l’innovation en Église n’est donc pas d’abord du registre de la production, de la construction ou de l’établissement mais de l’écoute et de la découverte. À partir de la reconnaissance de ce que j’ai réellement reçu, je peux partir avec confiance dans une situation qui est à explorer. Dieu pose lui-même les signes et les réalités de son règne. Leur réalité ne dépend pas de moi. Ce n’est pas à moi de les faire exister. Il m’est donné d’explorer l’espace vital que Dieu a déjà offert et promet d’offrir encore à nouveau. Il n’est pas à conquérir. Cela ne veut pas dire que l’on reste passif : il s’agit de glorifier ce don – de le valoriser, de le mettre en lumière, de communiquer à son sujet de contribuer librement à son rayonnement, non pas parce que je dois le faire, mais parce que je peux le faire, parce que j’y trouve un éclat de ce qui me fait vivre, fondamentalement.
Partant de cette perspective, j’ai systématiquement demandé aux personnes que j’ai rencontrées ce qu’elles percevaient de l’Église qui arrive. On peut soi-même aller reécouter les réflexions qui en sont issues. Mais pour conclure, je voulais souligner quatre tendances qui se dégagent pour moi de cette saison :
- Les occasions de rencontres et groupes à taille humaine jouent un rôle important. Si l’institution s’affaiblit, les relations directes, de personne à personne, se signalent par leur valeur et leur importance.
- Dans certains projets, c’est la personne, son expérience personnelle et ses besoins qui semblent au centre de l’attention, là où d’autres mettent peut-être plus l’accent sur le développement de relations stables et régulières. Il y a là un potentiel de tensions, mais qui peut aussi s’exprimer dans une dynamique respirante ? Dans le meilleur des cas, l’attention portée à l’un des aspects permet de nourrir l’autre et vice-versa.
- Les étiquettes confessionnelles sont relativisées : l’autre de confession, voire de religion, n’est pas perçu comme un danger. Ceci permet aussi d’assumer de manière positive sa propre référence confessionnelle, sans s’y sentir enfermé – voire même de travailler de manière créative avec cette référence. Ceci me semble un point particulièrement important à souligner à la sortie de ces entretiens.
- Seule une minorité est engagée professionnellement à plein temps sur un poste d’innovation – et ceux qui le sont ont conscience de la précarité de leur situation. La plupart ont surtout de temps partiels et accordent une importante part de bénévolat à leurs projets. Cependant tous et toutes trouvent un ressourcement personnel dans ce qu’ils font, une nourriture qui leur permet de prolonger l’engagement.
Des points saillants qui ne devraient pas surprendre, mais qui ne sont pas à perdre de vue au moment où se concrétiseront les nouveaux pôles d’incubation et les réseaux de partages qui se mettront en place. Ils sont des indices matériels de ce qui aujourd’hui vit avec joie et reconnaissance pour ce qui se découvre et se donne sur ce le terrain complexe d’une Église qui est encore en train d’arriver.
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