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La Terre martyre

La Terre martyre de Sarah Stewart-Kroeker est un ouvrage interdisciplinaire, dense et riche, qui tente de penser la théologie chrétienne à la lumière des enjeux écologiques actuels.

Deux questions orienteront Sarah Stewart-Kroeker dans sa réflexion : « d’abord, comment intégrer réellement et profondément la création tout entière, de manière fondamentale, dans la théologie chrétienne ?  […] Deuxièmement, comment tenir compte de la vulnérabilité, de la fragilité et de la dévastation écologique de manière proprement théologique, sans sombrer dans le désespoir accablant et l’apathie ou dans l’optimisme naïf et la fuite du réel ?» (p. 11). Les différents chapitres peuvent être lus comme des essais indépendants, toutefois la « dramaturgie » de leur chronologie mène à un approfondissement progressif des questions posées, dont il serait dommage de se priver.

L’autrice

Sarah Stewart-Kroeker, aujourd’hui professeure associée de théologie chrétienne primitive (Early Christian Theology) à Princeton, aux États-Unis, n’en est pas à sa première publication sur les sujets abordés ici. La majorité de ses sujets de recherche se rejoignent dans cet ouvrage : l’esthétique, l’éco-théologie, le rôle de l’imagination dans l’éthique, tout comme ses recherches sur Augustin et Karl Barth.

Présentation

Le premier chapitre de La Terre martyre présente l’intersection de ces éléments qui peuvent, de prime abord, sembler disparates. Il expose l’intuition de l’autrice que « les images comme les imaginaires façonnent l’imagination morale, politique et écologique qui oriente nos actions » (p. 165). En conséquence, l’imagination est définie comme composante de la dimension esthétique de l’agir. Dans les quatre chapitres suivants, l’autrice examinera et fera dialoguer une sélection d’imaginations écologiques et théologiques, attribuant à chaque fois un adjectif différent à la Terre.

« La Terre gémissante » se penche sur le lien entre la création et la christologie. Il est ici impossible de rendre ce chapitre dense dans toute sa complexité. Les éléments centraux qui y sont soulignés sont toutefois : 1. la création est créée par la parole, c’est-à-dire, théologiquement, que la création est intimement et fondamentalement liée à la personne du Fils, 2. l’incarnation est incarnation dans la création tout entière et pas seulement dans l’humanité, car elle concerne le créé, 3. la condition de « créé » concernant tout autant les êtres humains que la création non humaine, ces premiers et cette dernière se trouvent en solidarité souffrante et existentielle en Christ.

« La Terre vulnérable », un autre chapitre dense et à multiple facettes, explore la vulnérabilité sous le prisme des représentations photographiques de la destruction écologique. Il est axé sur la philosophie et l’éthique de l’image. L’autrice se penche sur la photographie pour son pouvoir évocateur sur l’affect des observatrices et observateurs. En conséquence, les représentations photographiques de la destruction de la planète peuvent, par leur pouvoir transformateur, suggérer et maintenir à la fois la possibilité de la catastrophe et celle de la guérison.

Le chapitre de la « Terre martyre », qui donne son titre à l’ouvrage, se concentre sur la signification du martyre. L’autrice, tout en incluant une dimension – limitée – du sacrifice à ce concept, y souligne la dimension du témoignage. La Terre martyre est la Terre qui témoigne, par sa souffrance et sa confrontation aux « forces néfastes et mortelles » (p. 186), de l’amour radical divin. L’imaginaire eschatologique du martyre du Christ ouvre la voie à une représentation de la guérison de la Terre-témoin, une guérison qui inclut et resignifie les blessures de la Terre, sans les effacer.

C’est « La Terre dévoilée » qui clôt l’ouvrage. La Terre dévoilée s’inscrit dans un imaginaire apocalyptique dans son sens grec original : un imaginaire du dévoilement. Dans un dialogue entre photographie et lieu théologique, l’autrice aborde une dialectique supplémentaire, reprenant les jalons posés dans les chapitres précédents : la dialectique entre l’attirance et le rejet. Stewart-Kroeker la nomme dissonance esthétique. « Ce que je nomme ‘dissonance esthétique’ désigne une réponse d’appréciation esthétique à un objet, un événement ou des images et représentations de celui-ci, qui suscite également la consternation ou la désapprobation éthique. » (p. 219). C’est précisément le maintien de cette tension que l’autrice trouve dans l’imaginaire apocalyptique. La Terre dévoilée se révèle ainsi être la Terre martyre, intégrée dans cet imaginaire en tant que Terre ressuscitée avec ses plaies.

Appréciation

La Terre martyre impressionne par son pari réussi d’intégrer le questionnement écologique à la théologie d’une manière exhaustive et transformatrice. Les différentes approches donnent une expérience de lecture variée et feront sans aucun doute découvrir de nouvelles réflexions tant à un public théologique qu’à un public à sensibilité plus littéraire. Il s’agit là d’une force de l’ouvrage – mais aussi de l’un de ses points faibles. Ces différentes pièces de puzzle peuvent également désorienter le lecteur ou la lectrice, qui devra effectuer un travail de synthétisation relativement conséquent pour en comprendre les imbrications. Le langage est heureusement accessible, ce qui facilite cette tâche, mais il masque par-là parfois la complexité des pensées présentées. Ce tour de force, qui pose les jalons pour une théologie sensible au thème de l’écologie, qui l’intègre et la réfléchit, en évitant les déclarations simplistes vaut néanmoins le détour.

Sarah Stewart-Kroeker, La Terre martyre, Labor et Fides, 2022.

Lara A. Kneubühler est doctorante en théologie systématique à l’Université de Berne. Elle se spécialise en dogmatique ainsi que sur la théologie queer/féministe.

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Lara Kneubühler

Lara Kneubühler

Doctorante en théologie systématique à l’Université de Berne

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