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L’engagement des Églises pour la paix – un regard sur l’Europe du sud-est et de l’est

Ce texte reprend une présentation faite lors du synode de l’EERS le 16 juin 2025 à St-Galle. Il aborde la question de l’engagement des Églises pour la paix dans le sud-est et le sud de l’Europe. En s’appuyant sur les conflits dans l’ex-Yougoslavie et sur la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, il montre comment les acteurs religieux interprètent les conflits, y participent parfois, et peuvent aussi contribuer à des processus de réconciliation. Il souligne l’importance de soutenir les voix ecclésiales qui, malgré les pressions politiques et religieuses, s’opposent à la violence et s’engagent en faveur du dialogue.

Introduction

Dans mon exposé aujourd’hui, je traiterai de « L’engagement des Églises en faveur de la paix ». Je suis convaincu qu’au vu de la situation actuelle dans le monde, il s’agit là de l’une des missions les plus urgentes pour les Églises et les communautés religieuses : réfléchir à ce qu’elles peuvent apporter concrètement, et comment, à la résolution pacifique des conflits et aux processus de réconciliation, face à la multiplication des crises et des catastrophes humanitaires à l’échelle mondiale. C’est d’ailleurs ce qu’exprimait déjà, de manière programmatique, le message de la première Assemblée générale du Conseil Œcuménique des Églises, en 1948 à Amsterdam : « La guerre est contraire à la volonté de Dieu. »

À cette déclaration maintes fois citée, il faut toutefois ajouter que « l’Assemblée d’Amsterdam était certes unanime dans sa déclaration mais qu’elle ne put s’accorder sur les conséquences éthiques concrètes à en tirer en matière de paix. »[1] Dès lors, il n’est guère surprenant qu’à la suite de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et des questions qu’elle soulève quant à la paix et à la sécurité en Europe, un débat intense ait émergé autour de l’éthique de la paix. Celui-ci porte notamment sur la notion centrale de « paix juste », sur l’usage actif de la non-violence ainsi que sur une « légitimation critique et conditionnelle de la violence, avec pour objectif de maîtriser et de réduire la violence »[2].

Ce qui surprend davantage, en revanche, c’est que, premièrement, dans les nombreux débats que suscitent cette controverse, l’expérience des personnes directement concernées — en l’occurrence les voix ukrainiennes et russes — est rarement entendue. Et deuxièmement, que le débat actuel en éthique de la paix n’est pas entièrement nouveau, mais reprend en partie un argumentaire conflictuel déjà présente lors des guerres de dissolution de la Yougoslavie dans les années 1990. Or ces guerres semblent avoir largement disparu de la mémoire collective en Europe occidentale. Il faut rappeler qu’à dans trois semaines et demie, le 11 juillet 2025, on commémorera le 30ᵉ anniversaire de la chute de la zone de sécurité de Srebrenica établie par l’ONU, suivie du massacre de plus de 8 000 garçons et adultes musulmans par des unités de l’armée serbo-bosniaque. L’an dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution faisant du 11 juillet une journée internationale de commémoration des victimes de ce génocide. Dans les États issus de l’ex-Yougoslavie, l’instauration de cette journée a déclenché un vif débat, révélateur des difficultés persistantes, même trente ans après les accords de paix de Dayton, à aborder les questions de responsabilité, de coexistence pacifique et de réconciliation.

Dans ce qui suit, je souhaiterais, à partir des guerres de l’ex-Yougoslavie et de la guerre actuelle menée par la Russie contre l’Ukraine, évoquer brièvement quatre points – que j’espère stimulants pour la réflexion – qu’il convient de garder à l’esprit dans l’engagement des Églises en faveur de la paix dans cette région. Je m’adresserai ici tant aux acteurs ecclésiaux locaux qu’aux acteurs extérieurs qui tentent d’intervenir en médiateurs. Mes propos visent à esquisser les contours des problématiques en jeu.

Quelle lecture de la guerre ?

Une condition préalable — ou du moins souhaitable — à tout engagement ecclésial pour la paix est une connaissance approfondie des causes du conflit, de son déroulement ainsi que des acteurs impliqués. Cela peut paraître une évidence, mais ne l’est nullement, car la manière dont les acteurs ecclésiaux interprètent la guerre conditionne naturellement leurs actions.

Dans le cas de l’éclatement de la Yougoslavie, par exemple, nombre d’acteurs internationaux considéraient au départ qu’il s’agissait d’un conflit interne, ce qui justifiait à leurs yeux leur non-intervention. Un autre schéma explicatif fréquent était d’y voir l’explosion de haines ancestrales entre les différents groupes de population. De telles lectures ne rendent pourtant pas justice à la complexité du conflit. Le processus sanglant de désintégration de la Yougoslavie résulte en réalité de l’interaction de nombreux facteurs : une crise du système politique et économique dans les années 1980, mais aussi des élites politiques, culturelles et religieuses qui ont su tirer parti de cette crise multiple pour attiser sciemment la polarisation et l’hostilité entre les divers groupes de population.

Les guerres qui en résultèrent combinèrent des éléments de guerre civile et de guerre interétatique, puisque la Slovénie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine avaient été reconnues en 1992 par la communauté internationale comme États indépendants.[3] De même, pour ce qui est du conflit en Ukraine – qui n’a pas commencé en 2022, mais bien en 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Russie et la guerre dans le Donbass –, la perception qui a dominé pendant longtemps a été qu’il s’agissait d’une guerre civile ou d’un conflit sécessionniste « classique » sur le territoire de l’ex-Union soviétique. On a ainsi négligé le fait que Moscou a délibérément soutenu et dirigé les prétendues républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, dans le but de servir ses propres intérêts en matière de politique étrangère. La Russie n’était donc en aucun cas un « médiateur honnête », mais bel et bien une partie belligérante engagée de manière active dans le conflit.[4] Or cette lecture d’un conflit interne s’est notamment reflétée dans la déclaration d’une délégation du Conseil œcuménique des Églises, qui s’est rendue en Ukraine en mars 2015 et y évoquait des « courants nationalistes concurrents ».[5] Ce récit du « nationalismes concurrents » a d’ailleurs marqué la perception de nombreux acteurs du COE, du moins jusqu’en 2022.

Une autre lecture du conflit, elle aussi réductrice, s’est retrouvée dans certaines prises de parole du pape François : au lieu de parler de nationalismes, il a évoqué des « impérialismes en conflit » et a avancé l’idée que la guerre aurait éclaté notamment parce que l’OTAN avait « aboyé aux portes de Moscou ».[6]

Quel rôle jouent les acteurs religieux locaux ?

Un deuxième point central concerne la question du rôle que jouent – ou devraient jouer – les Églises locales dans ces conflits. Dans les deux cas – celui de l’ex-Yougoslavie et celui de l’Ukraine et de la Russie aujourd’hui –, on constate que des acteurs ecclésiaux y ont été et y sont impliqués de diverses manières. Pour ce qui est des guerres en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, les Églises et communautés religieuses locales ont dû prendre position, ne serait-ce qu’en raison du fait que la différenciation nationale entre Serbes, Croates et Bosniaques reposait essentiellement sur des critères confessionnels. Il serait toutefois réducteur d’affirmer que les Églises et leur symbolique religieuse n’ont été qu’instrumentalisées par les politiciens nationalistes pour légitimer leurs objectifs politiques. En réalité, certains acteurs ecclésiaux ont eux-mêmes contribué à la promotion d’une identité nationale homogène ou n’ont guère contesté l’utilisation abusive du vocabulaire religieux par les élites politiques, car ils espéraient ainsi renforcer leur influence politique et bénéficier d’un statut privilégié au sein des nouveaux États issus de l’ex-Yougoslavie.[7]

Dans le cas de l’Église orthodoxe russe et de la guerre d’agression actuelle menée par la Russie, il apparaît encore plus clairement que la hiérarchie ecclésiale ne se contente pas de tolérer passivement l’instrumentalisation de thèmes religieux par le pouvoir politique pour justifier la guerre. Bien au contraire, elle participe activement à « canaliser et reconstruire la tradition théologique de l’Église russe de manière à l’intégrer sans rupture dans l’idéologie d’État ».[8] Les autorités étatiques comme ecclésiales invoquent sans cesse l’héritage spirituel du « baptême de la Rus’ », dont elles tirent l’idée d’une unité ininterrompue de la population orthodoxe sur les territoires de la Russie actuelle, de l’Ukraine et de la Biélorussie — ce qui revient à nier à ces deux voisins occidentaux tout droit à un développement autonome et à une souveraineté nationale. La Russie est même présentée comme la gardienne de la foi authentique face aux menaces « antichrétiennes » venues de l’Occident. Tout récemment, à Pâques, le patriarche Kirill a de nouveau affirmé que « toute l’histoire de notre pays est la preuve la plus éloquente » que « Dieu est avec nous », et que Vladimir Poutine aurait été placé à la tête de l’État russe par la « providence divine ».[9]

Comment les acteurs ecclésiaux internationaux peuvent-ils et devraient-ils agir en faveur de la paix face à ce conflit ?

Face à cette position radicale et légitimatrice de la guerre, adoptée par la hiérarchie de l’Église orthodoxe russe, une question fondamentale se pose à tous les acteurs ecclésiaux internationaux : comment gérer cette situation ? Faut-il adopter une position neutre afin de maintenir ouverts les canaux de dialogue avec toutes les Églises impliquées dans le conflit, ou bien est-il préférable de désigner clairement les responsabilités dans l’agression, afin de rester fidèle à son propre message et à ses valeurs morales ?[10] À mes yeux, tant le Conseil œcuménique des Églises que le Vatican, en tant qu’acteurs ecclésiaux de portée mondiale, semblent pencher pour la première option et continuer à nourrir l’espoir de pouvoir jouer un rôle de médiateurs sur les questions de paix auprès du patriarcat de Moscou. Le prix à payer est toutefois élevé, comme le montrent les rencontres entre représentants du COE et du Vatican avec des représentants de l’Église orthodoxe russe au cours des trois années écoulées depuis le début de la grande invasion russe de l’Ukraine : à plusieurs reprises, le patriarcat de Moscou a réussi à orienter l’interprétation de ces échanges et à se présenter à l’extérieur comme un membre respecté de la communauté ecclésiale internationale.

Cette troisième question — sur l’action des acteurs ecclésiaux internationaux dans des contextes de conflit — mérite aussi d’être éclairée par un regard comparatif sur l’ex-Yougoslavie : là, grâce en partie à des efforts de médiation de l’Église à l’international, des rencontres ont pu avoir lieu entre des représentants de haut rang des Églises locales impliquées dans le conflit.[11] Ces rencontres ont donné lieu à des appels à cesser toutes les hostilités et à une résolution pacifique du conflit. Certes, ces appels n’ont eu, dans les faits, que peu d’influence sur le déroulement de la guerre et chaque camp partait du principe que l’injonction à la paix ne s’adressait en réalité qu’à l’adversaire. Il n’en reste pas moins qu’à cette époque, toutes les Églises et communautés religieuses concernées ont accepté de « se prêter » à ces rencontres, manifestant ainsi au moins une disposition au dialogue et au compromis — chose qui, à l’heure actuelle, ne se manifeste nullement au sein de la direction de l’Église orthodoxe russe.

Quelles sont les forces ecclésiales à soutenir sur place ?

Pour conclure, je souhaiterais évoquer la « Confession de foi » de chrétiens orthodoxes de Russie, publié anonymement début janvier par un groupe d’environ trente personnes. Dans ce texte, des prêtres et des laïcs se prononcent contre la guerre en Ukraine, contre sa légitimation par le patriarcat de Moscou et contre la prière pour la « Sainte Rus’ » instaurée par le patriarche Kirill, prière qui demande la victoire plutôt que la paix. Dans cette « confession de foi », on peut lire au point 8, intitulé « Du ministère de réconciliation comme véritable mission sociale et politique de l’Église » :

« Lorsque des représentants de l’Église incitent à la haine contre d’autres peuples et d’autres pays au lieu de prêcher la paix, lorsqu’ils prêchent l’unanimité politique au lieu de faire œuvre de médiation entre les forces politiques, lorsqu’ils justifient idéologiquement des actes de violence contre ceux qui pensent autrement au lieu de prêcher la réconciliation — cela constitue une perversion non seulement du principe selon lequel ‘l’Église se tient en dehors de la politique’, mais surtout de la mission pour laquelle le Christ a envoyé ses disciples. Tenter d’instrumentaliser la prière ecclésiale comme un moyen de contrôler la loyauté envers les puissants de ce monde, suspendre ou destituer des prêtres parce qu’ils prient pour la paix et la réconciliation – ce n’est rien d’autre que persécuter les chrétiens pour leur fidélité à la Parole du Christ. »[12]

Tout comme la Déclaration théologique de Barmen de 1934, la Confession de foi des chrétiens russes se conclut par le verset d’Ésaïe 40,8 : « La Parole de Dieu demeure pour l’éternité », et elle pourrait, elle aussi, constituer le fondement d’un renouveau interne à l’Église. Soutenir ces chrétiens orthodoxes courageux, en Russie et à l’étranger, qui subissent une répression massive de la part des autorités étatiques comme du patriarcat de Moscou – ce que l’on peut lire dans notre dernière édition de Religion & Société en Europe de l’Est et de l’Ouest[13] – constitue une étape importante vers une autre compréhension de la guerre et de la paix au sein de l’Église orthodoxe russe. Il va de soi qu’il faut aussi continuer à soutenir les Églises ukrainiennes dans leur engagement en faveur de la paix.

[1] Heinz-Günther Stobbe « Christliche Friedensethik vor einem Dilemma? Streiflichter auf die neu entbrannte ökumenische Debatte über Pazifismus und die Lehre vom gerechten Krieg », ET-Studies, vol. 14 (1), 2023, pp. 25-42, ici p. 29.

[2] « Friede diesem Haus ». Friedenswort der deutschen Bischöfe, 21 février 2024, p. 15, https://www.dbk-shop.de/de/publikationen/die-deutschen-bischoefe/hirtenschreiben-erklaerungen/friede-diesem-haus-friedenswort-deutschen-bischoefe.html

[3] Sabrina P. Ramet « Disputes about the Dissolution of Yugoslavia and its Wake » In: Florian Bieber, Armina Galijaš & Rory Archer, (éds.), Debatting the End of Yugoslavia, Routledge, Farnham, 2014, p. 39-53.

[4] Cindy Wittke, Frieden verhandeln im Krieg. Russlands Krieg, Chancen auf Frieden und die Kunst des Verhandelns, Quadriga, Cologne, 2024, p. 44.

[5]  https://www.oikoumene.org/de/resources/documents/communique-by-wcc-delegation-to-ukraine

[6] https://www.laciviltacattolica.com/freeing-hearts-from-hatred/. En perspective critique Stefan Kube, « ‘To Put Politics Aside?’ Reflections on Theological and Non-Theological Factors within Ecumenical Dialogue ». In : Yury P. Avvakumov & Oleh Turiy (eds.), The Churches and the War. Religion, Religious Diplomacy, and Russia’s Aggression against Ukraine, Lviv, Ukrainian Catholic University Press, 2024, pp. 105-115, https://issuu.com/nanovicnd/docs/churches_and_war_complete

[7] Stefan Kube, « Brandstifter oder Feuerwehr. Religionsgemeinschaften und der Zerfall Jugoslawiens », Osteuropa vol. 59 (9), 2009, pp. 133-146.

[8] Regina Elsner, « Kirchen im Krieg. Das Ende der Selbstverständlichkeit », Theologie der Gegenwart vol. 66 (2), 2023, pp. 103-114, ici p. 108.

[9] https://noek.info/nachrichten/osteuropa/russland/3746-russland-patriarch-ruehmt-praesidentschaft-putins-als-goettliche-vorsehung.

[10] Thomas Bremer, « Die ökumenischen Implikationen des russischen Kriegs gegen die Ukraine », Una Sancta, vol. 78 (3), 2023, pp. 187-196, ici p. 188.

[11] Cf. sur certaines de ces rencontres, Thomas Bremer, Kleine Geschichte der Religionen in Jugoslawien. Königreich – Kommunismus – Krieg. Freiburg/Br., Herder, 2003, pp. 86–122.

[12] https://noek.info/hintergrund/3646-christus-und-dem-evangelium-treu-bleiben (notre traduction)

[13] Religion & Gesellschaft in Ost und West vol. 53 (6), Dossier : Kriegskurs. Impressionen aus Russland, 2025, https://rgow.eu/zeitschrift/2025/6

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Auteur

Stefan Kube

Stefan Kube

Institutsleiter und Chefredakteur der Zeitschrift RGOW

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