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Les limites du sacré – Colloque sur l’abus spirituel à Zurich 

L’abus spirituel constitue un sombre chapitre de la vie religieuse – et représente en même temps un défi pour les Églises, la théologie et la société. Lors du colloque « Les limites du sacré – Abus spirituel et responsabilité de l’autorité religieuse », qui s’est tenu le 8 septembre à la Paulus Akademie (Zurich), des spécialistes en théologie, psychologie et sciences des religions ont débattu, aux côtés d’organisations ecclésiales et de personnes concernées, des causes, des conséquences et des mesures nécessaires à prendre face aux abus spirituels.  À l’appui des cinq conférences, suivies de tables rondes, la complexité du phénomène est apparue dans toute sa clarté : des communautés religieuses fermées (Judith Könemann), aux nouvelles communautés religieuses (Georg Otto Schmid), en passant par les subtils transgression de frontières dans l’accompagnement pastoral (Elis Eichener) et les ambivalences de la spiritualité protestante (Reiner Anselm) – il est apparu à maintes reprises que l’abus spirituel n’est pas un phénomène marginal. Les analyses ont été enrichies par la perspective pratique des pratiques de consultation (Susanne Schaaf), qui a mis en lumière, avec force, le chemin parcouru par les personnes concernées et leur vulnérabilité. 

Judith Könemann | Confiance brisée, intégrité violée 

La théologienne Judith Könemann (Münster), a souligné dans sa conférence que l’abus spirituel n’est pas seulement un aspect secondaire de la violence sexuelle, mais bien une forme autonome d’abus avec ses conséquences propres. Les jeunes adultes, en particulier les femmes, sont les plus touchés, notamment au sein de groupes fermés et de communautés religieuses. Könemann a montré comment des autorités religieuses peuvent être présentées – ou perçues à tort – comme la « voix de Dieu », avec des conséquences dévastatrices : une capacité à la confiance fondamentalement détruite, des atteintes à l’intégrité personnelle et des blessures psychiques durables. Ce qui importe, a-t-elle insisté, ce n’est pas l’intention des auteurs, mais bien la souffrance des victimes. 

Georg Otto Schmid | « Mais c’est la volonté de Dieu ! » – Dynamiques au sein des nouvelles communautés religieuses 

Georg Otto Schmid, spécialiste des religions et directeur du centre d’information Relinfo, a analysé l’abus spirituel dans ce qu’on appelle des « communautés particulières » (Sondergemeinschaften). Il y est typique que la figure dirigeante s’identifie totalement à l’autorité divine. À travers l’exemple des Mormons sous la présidence de Russell Nelson et du mouvement Bhakti Marga d’inspiration hindoue, Schmid a montré comment se créent des rapports d’autorité extrêmes : toute réflexion personnelle est suspecte, l’obéissance devient un devoir, l’accès à l’information est contrôlé et les relations sociales restreintes. Il en résulte une dépendance totale qui s’étend jusqu’aux relations affectives, à la sexualité et à la dignité personnelle. 

Susanne Schaaf | La consultation entre foi et identité 

La psychologue Susanne Schaaf, directrice de la plateforme de conseil Infosekta, a partagé son expérience de terrain. Elle a décrit les conséquences de l’abus spirituel : honte, peur, sentiment d’infériorité et crises identitaires. Bien souvent, s’imprime une image de Dieu qui récompense l’obéissance et punit la désobéissance. Dans l’accompagnement, il est donc essentiel d’écouter les personnes concernées, de leur accorder sa confiance avant même qu’un travail psychologique en profondeur puisse commencer. La foi peut alors être à la fois une ressource et un risque – le danger survient lorsque l’harmonie et la loyauté priment sur la reconnaissance du tort subi. 

Elis Eichener | L’accompagnement spirituel comme possible « scène de crime » 

Le théologien Elis Eichener (Bochum), a évoqué l’ambivalence caractéristique de l’accompagnement spirituel (cure d’âme, Seelsorge). S’inspirant du concept de pouvoir pastoral développé par Michel Foucault, il a désigné la cure d’âme de manière saisissante comme une « scène de crime » pour l’abus spirituel. En effet, la relation asymétrique entre accompagnant spirituel et personne accompagnée peut mener à une subtile formation des pensées et à l’intériorisation de vérités imposées. À travers l’exemple de l’affaire Klaus Vollmer, Eichener a montré de quelle manière des systèmes toxiques peuvent se mettre en place. Pour prévenir les abus, il a plaidé en faveur d’un « régime de limites (Grenzregime) dans l’accompagnement spirituel » : limitation dans le temps, proximité contrôlée et tolérance à l’ambiguïté. L’objectif doit toujours rester la liberté spirituelle de la personne accompagnée. 

Reiner Anselm | Les ambivalences du protestantisme 

En conclusion, le théologien Reiner Anselm (Munich) s’est penché sur les contextes protestants. Selon lui, le protestantisme, avec son accent sur la relation individuelle à Dieu, devrait en principe être particulièrement résistant aux abus. Pourtant, dans la pratique, il est apparu que la sacralisation du quotidien – par exemple à travers l’éthique protestante du travail – pouvait devenir une porte d’entrée pour l’abus. Les auteurs exploitent alors le langage religieux du don de soi, de la confiance et du sacrifice pour exercer du pouvoir et empêcher toute remise en question. La tâche de la théologie est donc de mettre en lumière ces ambivalences de manière critique et de maintenir la frontière entre Dieu et l’être humain comme rempart contre l’abus. Pour cela, les concepts de protection établis par les organisations ne suffisent pas : il faut avant tout une formation théologique solide et un travail critique sur sa propre tradition ainsi que sur ses formes actuelles. 

Voix des organisations 

L’Alliance évangélique (Gemeinsam gegen Grenzverletzung), le l’assocation des personnes victimes d’abus dans un contexte ecclésial (IG-M!kU), la conférence central catholique romaine Suisse, l’Église méthodiste en Suisse ainsi que l’initiative Zwischenraum ont pris la parole. Ils ont rendu compte de leur travail en faveur et aux côtés des victimes, tout en rappelant que la prévention et la recherche de vérité ne suffisent pas à elles seules. Ce qu’il faut, ont-ils souligné, c’est un changement de culture dans les Églises, qui dépasse les réflexes de protection institutionnelle et assure une écoute durable aux voix des personnes concernées. 

Conclusion 

Le colloque a clairement montré que l’abus spirituel n’est pas un sujet marginal, mais un défi qui touche au cœur même de la pratique ecclésiale. Il prend racine dans des rapports de pouvoir, des structures et des interprétations théologiques – et porte atteinte à la dignité des personnes. Les intervenants et les organisations s’accordent à dire que la sensibilisation et le travail de mémoire sont indispensables. Reste la tâche de ne pas instrumentaliser le sacré comme un moyen de domination, mais de le préserver comme une source de liberté, de confiance et de dignité – ce qui implique malheureusement bien souvent de le reconquérir à ce titre. 

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La publication du colloque contenant tous les exposés et les présentations PowerPoint sera publiée ultérieurement.

Blog EERS

De:

Stephan Jütte

Stephan Jütte

Dr. theol., Leiter Theologie und Ethik, Mitglied der Geschäftsleitung

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