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Dans Les manquants. Récits de fragilités et d’espoirs, la psychologue Priscille Hunziker explore la souffrance humaine et les manques fondamentaux à travers dix récits empreints de réalisme. Si son écriture directe heurte et interpelle, l’absence de cohérence esthétique ou herméneutique laisse parfois le lecteur, la lectrice, en quête d’un écho plus profond ou d’une résonance littéraire.
Priscille Hunziker n’est pas une écrivaine. Ce premier constat peut sembler un peu brutal, mais il me semble opportun de le préciser d’entrée. Elle n’est pas une écrivaine et pourtant elle écrit… La question qui m’a habitée à la lecture de Les manquants est la suivante : à quoi bon un livre ? Les dix récits rassemblés dans cet ouvrage pourraient très bien se trouver en ligne, sur un site internet. A mes yeux, la compilation dans un ouvrage doit refléter une certaine cohérence thématique mais aussi littéraire, esthétique. Cette cohérence m’a manqué. Peut-être ne l’ai-je pas vue, pas comprise ?
Toujours est-il que je résumerais mon expérience de la lecture de l’ouvrage de Priscille Hunziker comme une occasion manquée. Priscille Hunziker m’a posé un lapin ! Ou alors elle était au rendez-vous et je ne l’ai pas reconnue. C’est sans doute l’écrivaine que je n’ai pas vue.
Priscille Hunziker est psychologue et accompagnatrice spirituelle. Licenciée en psychologie clinique de l’Université de Genève, elle est également conseillère en image depuis 2001. Elle a publié en 2018 Le regard du jardinier aux éditions Prétexte, puis en 2022 le conte thérapeutique Où vont nos larmes ? qui aborde le thème de l’abus sexuel. « C’est dans la manière de nous ouvrir aux autres que nous vivons » écrit Priscille Hunziker sur son site internet. Elle travaille sur les liens et sur la dimension holistique de l’être humain. On retrouve cette perspective thérapeutique dans ses textes.
L’ouvrage de Priscille Hunziker se décline en quatre parties, toutes chevillées au titre et thème, les manquants. Les manquants, ce sont ceux et celles à qui il manque quelque chose : manquants de sens, d’amour, d’une présence ou encore manquants d’espoir. Précédés par une préface de Jean-François Collet, psychiatre et psychothérapeute, les dix textes du recueil se terminent sur une postface de l’auteure dans laquelle elle revient sur le manque, sur le « creux du manque » et ses possibles interprétations.
Les manquants, les manquantes, ces sont des êtres humains que Priscille Hunziker a probablement croisés dans sa pratique thérapeutique. Anonymes ou nommé-es, jeunes souvent, vieux quelquefois, ces hommes et ces femmes errent dans leur vie. En quête de sens ou d’amour, mais aussi proches du vide et du néant. Certaines histoires restent d’ailleurs muettes sur leur dénouement.
L’histoire la plus longue du recueil, « Silences minés » qui ouvre la troisième partie – les manquants d’une présence – constitue à mon sens le récit le plus abouti, tant sur le plan littéraire que thématique. A travers les interactions d’un trio féminin mêlant les générations, les non-dits finissent par exploser au grand jour, brisant ainsi les tabous de famille. Une histoire racontée en un souffle, mêlant pudeur et aspirations contemporaines à révéler les secrets.
Autant le dire d’emblée : je n’apprécie pas particulièrement d’être prise seulement par les tripes. Au fond, c’est peut-être justement là que Priscille Hunziker et moi nous sommes ratées. En observatrice de la nature humaine et des émotions, la psychologue raconte des situations, des histoires de ses patients. A mon sens – devrais-je dire « à mon goût » ? – elle le fait sans suffisamment d’attention à l’expression choisie, à savoir le texte écrit et de surcroît le livre. Si on aime le style « brute de décoffrage », on adorera.
Ce que je reproche à cet ouvrage, c’est une certaine gratuité, l’impression désagréable d’être prise en otage. Je ne voudrais donc pas céder à mon tour à une critique gratuite. Le principal défi de ce recueil de textes réside dans son genre littéraire. On pourrait penser qu’il s’agit d’une question marginale ou technique. Or, il s’agit d’une question centrale : quel est le statut de ces dix textes mis ensemble ? Et à partir de la réponse donnée à cette question, quel est le sens de l’ouvrage ? Quelle est sa perspective ? Vers quoi cette œuvre veut-elle porter ses lectrices et ses lecteurs ?
Cette fin n’est pas claire. Personnellement, j’ai l’impression de n’être confrontée qu’à des émotions, y compris les miennes, à la manière d’un reportage ou d’un post sur internet. Dans Les manquants, il me manque la littérature, le geste créatif, le dépassement de l’acte de raconter. Il me manque la beauté, l’esthétique et celle-ci peut tout à fait être laide, brutale, crue, choquante.
Priscille Hunziker heurte par son style et ses histoires. Cette émotion peut irriter, mais il est sûr que la psychologue trouvera un large public. Ses récits sont dans l’air du temps, car ils mêlent habilement la souffrance psychologique des personnages et une situation de vie quotidienne, banale en quelque sorte. Le lecteur, la lectrice pourra sans difficulté se mettre dans la peau des protagonistes.
Mais si ces récits s’inscrivent parfaitement dans notre époque très friande d’émotions fortes et éphémères, ils ne recèlent pas vraiment de souffle. Il manque une caisse de résonance, une ligne interprétative afin d’aller au-delà – et plus profondément à l’intérieur – des situations décrites. Il ne suffit pas de jeter en pâture aux lecteurs contemporains la souffrance de personnes manquant d’amour ou d’espoir pour faire écho à leur désir de spiritualité. Une perspective herméneutique sur le manque de sens, d’amour, de présence ou d’espoir – les quatre parties du livre – s’avère nécessaire si l’on ambitionne de parler de spiritualité.
Dans la postface, l’auteure écrit : « Écrire dans le creux fait exister l’envers du décor. C’est nommer l’invisible, ainsi que ces blessures de la vie qui nous font des cicatrices au cœur. […] Au sein de cette terre secrète, une présence. Discrète, impalpable comme un souffle d’air venu d’en haut. Du plein habite mes creux !» (p. 117). Encore faut-il parvenir à nommer cet invisible, peu ou prou, métaphoriquement, symboliquement ou alors clairement. Le silence ou le creux ne suffit pas à indiquer ce qui dépasse nos créations. Toute la magie littéraire – et artistique en général – réside dans la capacité géniale à dire cet invisible et à parler à l’imagination des lectrices. Pas seulement à leurs tripes…
Janique Perrin est docteure en théologie, pasteure, responsable de la formation d’adulte francophone pour les Eglises réformées Berne-Jura-Soleur.
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Priscille Hunziker, Les manquants. Récits de fragilités et d’espoirs, Ed. Ouverture, 2024.
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