7 jours de récits, méthodes et outils. Ce livre propose des outils pratiques pour réinventer l’Église réformée, en s’inspirant des expériences en Suisse alémanique et romande. Il favorise l’action au niveau de la communauté locale. À travers sept chapitres thématiques, il guide les acteurs de l’Église vers une transformation participative et durable.
1 Visée et contextes
Ce livre se veut un manuel pour l’innovation en Église. Il est directement adressé à celles et ceux qui œuvrent à la base des communautés ecclésiales (ministres, conseiller·ère·s, bénévoles).
Il se nourrit des expériences du processus de réforme engagé par l’Église réformée zurichoise et qui s’est terminé en 2023 (KirchGemeindePlus). L’édition francophone bénéficie également de nombreux exemples romands, spécialement récolté à l’occasion de la traduction.
Le livre présente des outils mais aussi des témoignages et des exemples qui doivent permettre d’illustrer la manière dont une communauté peut orienter et mettre en œuvre des innovations.
En suisse alémanique
Dans le contexte zürichois, ce livre s’articule à une politique d’Église qui a explicitement fait de la place à l’innovation, en mettant notamment en place des fonds de soutien. La plateforme Église qui bouge dans le contexte bernois indique un développement analogue.
On se trouve ici dans un contexte de politique ecclésiale qui souhaite favoriser l’innovation et qui dispose de plusieurs lieux pour articuler une réflexion autour du développement de l’Église – en dehors des Églises, je pense ici notamment au réseau des fresh expression et au centre pour le développement de l’Église (université de Zürich).
En Suisse romande
Dans le cadre romand, ce manuel arrive dans une situation différente. Les dynamiques d’innovation qui avaient été lancée dans les décennies passées sont suspendues ou arrêtées. Le Labo Khi (Vaud) est en phase de sommeil et Le Lab (Genève) a été fermé. La politique ecclésiale est plus prise par des problématiques de restructuration interne que par le développement l’innovation. Il reste toutefois un pôle actif autour de la formation à l’innovation proposée par l’office protestant de la formation (cf. Explore S1/E10 Innover en Église).
En même temps, de nombreuses initiatives existent sur le terrain, portée avec plus ou moins de soutien institutionnel. En témoigne récemment différents podcasts (Explore [saison 1], L’Esprit du Temps). Dans ce contexte on a donc plutôt affaire à des acteurs individuels plus ou moins en réseaux les uns avec les autres. Le manuel vient compléter les ressources et outils mis à disposition par le Labo Khi.
2 Le manuel
Le manuel se construit autour de sept journées – jouant sur le récit de la création du monde en 7 jours (Genèse 1). L’introduction est brève (1 page) et fait plutôt office de mode d’emploi pour l’utilisation du manuel.
Chaque jour vise à mettre en jeu un thème lié à une question.
- L’unité dans la diversité | Quel dénominateur commun dans notre paroisse nous permet-il de goûter la diversité ?
- Contexte | Comment l’Église évolue-t-elle à l’ère postmoderne ?
- Vision et stratégie | Quelles visions consolident-elles notre paroisse sur la voie du changement ?
- Ressources et gestions | Comment utiliser nos ressources de manière durable en Église ?
- Participation | Comment les personnes peuvent-elles contribuer au développement de la vie communautaire ?
- Gouvernance | Quelles gouvernances sont-elles pratiquées au sein de l’Église aujourd’hui ?
- Mise en réseau | Comment nous mettons-nous en réseau en tant que paroisse aux niveaux local, régional et mondial ?
Les questions mènent à travailler tant sur le plan de l’identité des acteurs et de la mission (1-3), que sur les éléments opérationnels qui permettent la mise en œuvre de la mission (4-5). Chaque chapitre peut se lire pour lui-même, les renvois internes permettant de naviguer facilement entre les thèmes. La lecture chapitre après chapitre invite toutefois à une progression qui correspond aussi à la mise en place d’un projet en communauté.
Chaque journée est structurée autour de trois moments : 1) Une contextualisation de la thématique dans le cadre de la foi chrétienne ; 2) La présentation d’un ou de plusieurs outils, avec une visée d’application ; 3) L’illustration de la thématique à partir d’un ou de plusieurs exemples, en favorisant l’approche par le récit. Le tout est développé sur une quarantaine de pages avec une esthétique soignée et centrée sur l’expérience du lecteur.
On peut l’illustrer avec la journée « 5. Participation ». L’introduction revient sur l’idée réformée du sacerdoce universel et situe la relation entre professionnel et bénévoles. L’exemple suisse-alémanique fait le récit du groupe de jeunes de la paroisse de Laufen am Rheinfall (Zäment). La partie outils présente à la fois une théorie de la co-construction et un processus pour mettre en place des processus participatifs en trois phases, en faisant usage notamment de l’animation du forum ouvert.
Aux 12 récits suisses-alémaniques s’ajoutent 22 entretiens romands, qui élargissent considérablement le registre et la palette d’expériences en termes d’innovation en Église, par rapport à la seule réalité zurichoise.
Le tout est développé sur une quarantaine de pages avec une esthétique soignée et centrée sur l’expérience du lecteur, de la lectrice.
3 Appréciation
Do it yourself
Le manuel part de l’idée que l’Église évolue par sa base. L’innovation n’est pas réservée à une élite, mais qu’elle peut se déployer au sein de chaque communauté. C’est un livre qui donne des idées, des pistes d’approches concrètes et de l’espérance. Il me semble que le pari de proposer des outils et des impulsions pertinentes est réussi.
L’ancrage dans les références bibliques-théologiques et la réforme suisse (surtout zurichoise) contribue à construire une identité qui ne se trouve pas en porte-à-faux avec la tradition. Au contraire : elle s’ouvre aux impulsions novatrices portée par la tradition, tout en cultivant une attention pratique pour le contexte contemporain – la journée « 2. Contexte » en offre un bon exemple.
Effet d’étrangeté
La lecture du manuel fait sentir à quel point il est marqué par les spécificités du contexte zurichois : les paroisses/communautés ont une autonomie importante en matière de gestion des ressources humaines. Elles sont encore au bénéfice de ressources financières et matérielles importantes. Elles bénéficient également d’une surface de contact significative avec les différents acteurs de la société civile. Les structures ecclésiales évoquées (notamment du point de l’organisation des professionnels) sont propres à l’Église réformée du canton de Zürich.
Celui ou celle qui connaît la situation en suisse romande, ou dans la francophonie en général, sentira ici parfois un décalage culturel. Ce décalage se ressent aussi au niveau des exemples mobilisés : autant les récits alémaniques illustrent bien les thèmes et les outils de chaque journée, autant les entretiens romands semblent parfois tomber un peu à côté du sujet – par exemple la présentation de nouvelles approches catéchétiques dans le cadre de la journée « 6. Gouvernance ». Ce que la traduction francophone gagne en diversité, fait perdre un peu en cohérence.
Une perspective optimiste… à compléter
L’ensemble du livre offre une belle photographie de l’état de l’innovation dans les Églises réformées suisses dans ce premier quart du 21e siècle. La perspective est résolument orientée sur l’empuissancement (empowerment) des acteurs et actrices de l’Église. Les différents exemples illustrent à la fois les réussites, mais également les questions et les difficultés auxquelles sont confrontées différents projets. Il manque peut-être une analyse et une prise en compte des échecs et des raisons qui font que tel ou tel projet s’arrêtent ou non.
Dans la francophonie, cette perspective pratique devrait être complétée par une réflexion plus approfondie sur les implicites ecclésiologiques portés par ce manuel. Un des impensés important me semble être la relation conflictuelle entre action ecclésiale et politique ecclésiale – le contraste entre réalité suisse-alémanique et réalité romande pointe il me semble dans cette direction. Une réflexion éthique-systématique sur les techniques de management mobilisées par le manuel me semble également nécessaire, tant elles prennent une place importante dans cette proposition (Design Thinking, Méthode Cynefin, Cercle d’or, etc.).
4 Auteurs
Matthias Bachmann est pasteur, membre du conseil pour l’innovation dans l’Église réformée du canton de Zürich. Monika Wilhelm est théologienne, engagée dans la formation continue des ministres en suisse allemande et active dans le projet Orbit à Winterthur. Ils sont à l’origine de ce manuel dont la parution originale est en allemand et lié à l’Église réformée du canton de Zürich (Gemeindeentwicklung in 7 Tagen, TVZ, 2021).
On doit sa traduction française à une équipe de personnes intéressées par l’innovation en Église et actifs dans la formation d’adultes – Sophie Wahli-Raccaud (office protestant de la formation), Jean-Christophe Emery (cèdres formation). L’ouvrage original a été augmenté de plusieurs reportages sur le terrain des Églises réformées romands, assurés par les journalistes de Réformés, sous la coordination de Camille Andres et par une postface de la théologienne Joan Charras Sancho.
5 Public cible
Le livre s’adresse en priorité aux acteurs du terrain ecclésial – professionnels et bénévoles – ainsi qu’aux décideurs et décideuses (membres de conseil). Son orientation pratique et l’accent mis sur la transmission des compétences en fait un bon outil de travail pour quiconque veut contribuer aux dynamiques d’innovation qui ont lieu dans son contexte ecclésial.
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Matthias Bachmann, Monika Wilhelm (éds.), Manuel d’innovation Communautaire. 7 jours de récits, méthodes et outils, Lausanne, OPEC, 2024.
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