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Maternités rebelles

Les mères sola mettent en question la modélisation patriarcale de la maternité et les représentations qui la cimentent. Le dernier livre de Judith Duportail raconte ce rappel de la corporéité, les violences sociales et physiques qui y sont liées, mais aussi l’ouverture vers de nouveaux imaginaires. Un livre qui invite le christianisme à (re)découvrir d’autres figures de la maternité.

Présentation de l’autrice

Judith Duportail est journaliste féministe, spécialiste des relations romantiques contemporaines. Dans Maternités rebelles (MR), elle revient sur son parcours de PMA et son projet de maternité sola. Elle dénonce, à travers un témoignage poignant, les violences perpétuées à l’égard des femmes tout au long de leur vie – particulièrement en lien avec la (non-)maternité.

Le livre

En ouverture de son essai, l’autrice convoque Virginie Despentes qui affirmait déjà dans King Kong théorie que « les hommes n’ont pas de corps » (MR,p. 17). Or, c’est précisément sur la base de ce lien entre corps et féminité que le patriarcat maintient encore les femmes en position d’infériorité. Commentant son expérience de la grossesse, Duportail déclare :

« J’ai découvert lors de ma PMA à quel point j’avais un corps. À quel point je n’étais pas un homme. C’est fou, cette vie que nous menons, où nous devons faire semblant d’avoir un corps d’homme cis. Pour étudier, travailler, performer, pour tout simplement appartenir à la société, nous devons faire comme si nos corps féminins n’existaient pas. » (MR, p. 94)

Cette expérience du corps féminin – en lien avec la maternité – est au centre de l’essai. Quant à la spécificité de l’expérience des femmes s’aventurant dans la maternité seule, elle n’est pas à part. Au contraire, elle « exacerbe seulement une situation déjà existante » (MR, p. 133). Ainsi, l’autrice conclut, au terme de son développement, en invitant son lectorat à « changer de regard, collectivement, sur les mères » (MR, p. 145).

La maternité comme ré-encadrement des corps féminin

Après ce rapide panorama, il convient de porter l’attention sur chacune des étapes de l’argumentation développée par Judith Duportail. Son discours se divise en onze chapitres, abordant successivement les thématiques du mythe de l’horloge biologique (1. « Free the eggs »), de la diabolisation du célibat (2. « La romance et la disgrâce »), de l’asservissement des femmes dans la famille (3. « Ne pas servir »), du contrôle des corps par la médecine (4. « Le médecin et le patriarche »), de la culpabilisation des femmes (5. « Les années paniques »), de la banalisation de la douleur (6. « La culture de la douleur »), de la conscience du corps (7. « Devenir un corps »), de la silenciation des femmes (8. « Avoir mal, avoir peur »), de l’isolement des mères (9. « Les tranchées »), de la minimisation de leur vécu (10. « Transcendance blues »), et – finalement – de la banalisation des violences subies par les femmes (11. « La sublime guérilla »).

Cette liste pour le moins dense donne à voir l’ampleur du sujet traité par l’essayiste. Elle met en lumière la force du backlash que subissent les femmes. Littéralement, « backlash » signifie « retour de bâton ». C’est ainsi que Susan Faludi, dans un essai éponyme parut en 1991, définit un discours antiféministe affirmant que la libération des femmes les aurait rendues malheureuses. À chaque étape de leur vie, les femmes subissent ce retour de bâton. Très tôt, le tictac de l’horloge biologique les menace. Ce mythe est instrumentalisé par les opposants à la libération féministe afin de rappeler aux femmes que la fertilité est une question de jeunesse – et que toutes deux passeront fatalement. On voit bien, ici, comment les femmes sont rappelées à leur corporéité. Mais si jeunesse et fertilité sont intrinsèquement liées, cette règle n’est pas la seule à contraindre le corps féminin à une certaine forme de maternité. Ainsi :

« La trentaine est une décennie particulièrement injuste envers les femmes. L’autrice états-uniennes Nel Frizzel a baptisé cette période de la vie “les années paniques” […]. Toutes celles qui ont l’audace de concevoir leur bébé en dehors des années panique seront soit taxées d’irresponsabilité et accusées de gâcher leur jeunesse, soit d’être des égoïstes qui feront de jeunes orphelins. » (MR, p. 71)

En d’autres termes, l’accomplissement des femmes passe non seulement par la maternité, mais surtout par une maternité au moment opportun… et dans le cadre du couple (de préférence hétérosexuel) ! Ce dernier point construit une opposition binaire entre, d’une part le bonheur lié au couple, d’autre part le malheur qu’engendre le célibat. Une telle injonction conduit à stigmatiser les célibataires – une méfiance renforcée à l’égard des mères célibataires, particulièrement celles qui ne subissent pas cette situation mais la choisissent.

Pourtant, un tel choix semble parfaitement rationnel. Judith Duportail revient sur diverses statistiques démontrant que les femmes célibataires bénéficient d’un meilleur mode de vie que les femmes en couple (hétérosexuel), de sorte que leur émancipation de cette structure semble logique. Le fonctionnement du backlash est très clair : en stigmatisant le célibat, on renvoie ces femmes dans des structures qui profitent au patriarcat. Il apparaît donc que l’engagement dans une maternité sola et une forme de résistance à l’ordre social qui asservit les femmes. Mais la force du backlash infantilise celles qui tente de s’émanciper. En plus du paternalisme évident dont souffre les femmes qui sortent du cadre hétéropatriarcal, leur parole est (quasi) systématiquement dévalorisée, voir même ignorée. C’est ainsi que les douleurs féminines sont banalisées, que leurs expériences sont minimisées, que leurs besoins vitaux sont ignorés.

Finalement, alors que la norme de la famille hétéropatriarcale s’impose et enferme les corps féminins dans des maternités asservissantes, celles qui remettent en question la domination sont systématiquement rappelées à l’ordre. Pour le dire avec les mots de Judith Duportail :

« Dans les faits, nous avons à peine le droit de faire famille autrement. On nous tolère, à condition qu’on se fasse toute petite, qu’on se débrouille, qu’on s’adapte au fonctionnement des couples. Qu’on en singe le fonctionnement, qu’on fasse tout peser sur une autre personne, comme les couples. » (MR, p. 107)

Christianisme et maternité, changer de regard

En sommes, dans leurs projets de maternités, les femmes sont systématiquement rappelées à l’ordre du patriarcat. Il me semble que cela est (entre autres) lié à la manière dont le Christianisme a progressivement imposé un modèle familial réducteur, distribuant les rôles genrés entre les hommes et les femmes de manière stéréotypée. Aux pères l’autorité, aux mères la corporéité. Si Judith Duportail ne mentionne pas cela, son développement n’en est pas moins d’une pertinence fine. Au vue de la nature de ce compte-rendu, je m’autorise néanmoins quelques mots sur la maternité dans une perspective chrétienne.

Bien souvent, les femmes sont réparties en trois catégories : les vierges, les mères et les putes – le modèle de vertu par excellence étant incarné par la figure de Marie, vierge et mère. Or, un tel modèle est parfaitement inatteignable pour les chrétiennes de tous lieux et de tous temps. Mais n’existe-t-il pas d’autres figures, d’autres maternités, auxquelles les croyantes pourraient se rattacher ? L’histoire de Sarah ne nous montre-t-elle pas que fertilité et jeunesse ne sont pas systématiquement reliées (Genèse 21) ? Le livre de Ruth de nous rapporte-t-il pas l’histoire d’une femme qui, avec la contribution d’un homme, permet à une autre femme d’avoir une descendance ? D’autres maternités bibliques, j’en suis certaines, pourraient être mentionnées dans cette liste.  Il me semble que les exemples d’histoires extraordinaires sont multiples dans la Bible, qu’elles pourraient être des pistes pour – comme nous y invite Duportail, « changer de regard, collectivement, sur les mères ».

Judith Duportail, Maternités rebelles, Binge Audio Éditions, 2024.

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Marie Duruz est théologienne, Doctorante en Nouveau Testament à l’Université de Lausanne (faculté de théologie et de sciences des religions)

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Marie Duruz

Marie Duruz

Théologienne Doctorante en Nouveau Testament à l'Université de Lausanne

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