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Réformation comparée

Mieux identifier ce qu’est la Réformation protestante en l’analysant de manière comparative à l’échelle de l’Europe : voilà l’ambition de ce collectif paru aux presses universitaires de Cambridge. Un projet ambitieux et qui fait voyager les adeptes de l’histoire de la réformation (p. ex. Transylvanie, littoral baltique). Un essai plus ou moins réussi.

Enjeux historiographiques

Reformations Compared. Religious Transformations accross Early Modern Europe réunit une douzaine de chercheurs européens et nord-américains, sous la direction d’Henry A. Jefferies (Ulster University) et Richard Rex (University of Cambridge), spécialistes de l’histoire de la Réforme au 16e siècle. Cet ouvrage donne suite à un séminaire organisé à la Faculty of Divinity de l’Université de Cambridge. Lors de l’évènement, les intervenants eurent pour ambition de participer activement au renouvèlement des connaissances historiques sur l’émergence de la Réforme en adoptant une approche comparatiste privilégiant la mise en relation d’études de cas régionaux pour saisir, malgré les différences spatiales, socio-économiques et politico-religieuses, des éléments communs au processus réformateur (ou à la contre-réforme) à travers l’Europe. Le postulat était le suivant : les historiographies nationales ont souvent tendance à atomiser le concept de Réforme en des modalités, des réformes plurielles et inédites, au risque de perdre, ou de délaisser le concept plus unificateur de Réforme. Pourtant, un examen plus global des développements religieux pourrait révéler des similitudes et des schémas communs (rôle des magistratures ; interactions entre pasteurs et pouvoirs politiques ; enjeux des réseaux d’érudits et de la diffusion des idées par l’impression ; sensibilités populaires aux idées nouvelles). L’ambition est aussi de comprendre pourquoi la Réforme fonctionne dans certains espaces et échoue dans d’autres, tout en évitant une approche déterministe : même si la Pologne, l’Italie ou l’Espagne sont réputées être des terres historiquement catholiques, une analyse fine tend à démontrer qu’elles connurent des mouvances réformatrices. L’ouvrage est donc un pur exercice universitaire d’approche comparatiste.

Quel lectorat ?

Cet ouvrage s’adresse (avant tout) à un public averti et, en premier lieu, aux spécialistes du champs historique en question. Il est à déconseiller pour tout universitaire de première année désirant s’initier à l’histoire générale la Réforme à l’époque moderne — dans ce cas, la règle prévaut que l’on privilégie toujours la lecture d’ouvrages synthétiques généraux, tels que, si l’on est francophone, la récente publication, dans la collection Que Sais-je ? (PUF), de La Réforme (1517-1564) de Pierre-Olivier Léchot [2024], ou d’ ouvrages historiographiques classiques et reconnus (même si déjà anciens) tels que la Naissance et affirmation de la Réforme de Delumeau, Cottret et Wanegffelen (consulter les dernières éditions et rééditions). Effectivement, les chapitres, sans être à aucun moment abscons, nécessitent, pour s’y confronter, d’avoir déjà de sérieuses connaissances sur l’histoire confessionnelle de l’Europe à l’époque moderne. Le changement d’air géographique, d’un chapitre à l’autre, y joue pour beaucoup et perturbera certainement le néophyte (passer de la Norvège à l’Italie en passant par la Transylvanie n’a rien d’évident). Ce dépaysement force les historiennes et historiens les plus chevronnés (qui sont ici les principaux destinataires) à se familiariser, sans aucune transition (ce que l’on peut regretter), à des contextes géographiques très différents. Cette plasticité n’est pas à la portée de tous, demande un réel effort de concentration et s’acquiert au moins au niveau du master, voire du doctorat — à moins d’avoir déjà un capital culturel a priori élevé. Conclusion : ne vous frottez pas à ce livre si vous vous initiez à peine à l’histoire de la Réforme ; vous risqueriez de vous en dégouter (ce qui serait bien dommage !).

Appréciation

Cet ouvrage, sans révolutionner l’historiographie (ce n’est d’ailleurs aucunement l’ambition des auteurs qui annoncent humblement chercher à développer des terrains d’investigation), a le mérite de fournir aux spécialistes douze entrées permettant de se familiariser avec l’expérience réformatrice ou contre-réformatrice en Europe à l’époque moderne. Toutefois, nous serons, sur certains points, plus critiques que la récente recension de Karl Gunther (University of Florida).

Au cours de la lecture, nous avons regretté l’absence d’un certain nombre d’éléments d’ordre méthodologique qui, à notre avis, auraient pu (dû ?) être présents. Ce livre est composé d’une riche introduction rappelant les enjeux historiographiques ; elle est suivie d’une succession de chapitres sans aucune transition pour les lier entre eux. Méthodologiquement, c’est un choix risqué, surtout lorsque l’on décide de publier un livre d’histoire où l’on s’attend à une structure classique d’ordre chrono-thématique. Nous avons eu parfois le sentiment d’enchaîner la lecture d’articles scientifiques hyper spécialisés sans qu’il y ait de réel dialogue entre les interventions (on sent l’influence du format ‘colloque’). Ainsi, nous abordons, au fil des interventions, l’expérience de la Réforme et de la Contre-Réforme en Saxe (Christop Volkmar), en Suisse (Amy Nelson Burnett), en Autriche et Bohème (Howard Louthan), en Europe de l’Est (Liudmyla Sharipova) en Hongrie et Transylvanie (Béla Vilmos Mihalik), dans les pays nordiques (Göran Malmstedt), ceux du littoral Baltique (Maciej Ptaszynński), les Pays-Bas (Christine Kooi), les îles britanniques et la France (Richard Rex et Henry A. Jefferies), l’Espagne et l’Italie (Michel Boeglin et Simone Maghenzani). Si à l’intérieur des chapitres l’exercice comparatiste est très bien réussi, chaque intervenant cherchant à montrer les raisons pour lesquelles la Réforme a pu fonctionner (ou non) dans telle ou telle espace, on regrette toutefois l’absence de mise en rapport explicite des chapitres en eux. Le lecteur, seul, doit donc les comparer, voir les points communs et divergences : comme pour les échecs réformateurs espagnols, italiens et irlandais (chapitres 10, 11 et 12). Cette gymnastique intellectuelle aurait pu être évitée par un regroupement des chapitres en de grandes parties thématiques comportant des introductions et des conclusions intermédiaires.

Problème plus gênant, on peut reprocher à l’ouvrage de ne proposer aucune conclusion. De fait, il se termine brusquement avec l’intervention, certes lumineuse, de Simone Maghenzani sur les raisons de l’échec de la Réforme en Italie. Cette absence de conclusion et l’arrivée directe à l’index, donne un léger goût d’inachevé, alors même que les chapitres sont excellents. L’enchaînement haletant de ces douze interventions appelait, nous semble-t-il, à une conclusion permettant de prendre de la hauteur et de revenir sur les points fondamentaux et les enjeux initiaux de l’ouvrage. Certes, on peut rétorquer à cette critique (qui, d’ailleurs, ne remet aucunement en cause la qualité générale de l’ouvrage) que dès l’introduction, riche de quasiment vingt pages, les éditeurs résument brièvement le contenu des interventions et indiquent les axes abordés. Mais une introduction ne remplacera jamais une conclusion. À notre avis, les éditeurs auraient pu, ne serait-ce que sur les quelques paragraphes finaux, faire une reprise synthétique — on en conviendra, il est quasiment impossible de demander à douze collaborateurs de rédiger ensemble une conclusion. Le danger demeure : risquer l’effet de liste qui donne l’impression, souvent désagréable, d’un patchwork d’interventions, plutôt que d’un travail de réflexion collective. Ces remarques ne doivent toutefois pas entacher l’indéniable qualité des interventions. En effet, la force de cet ouvrage réside dans son attention à valoriser des airs géographiques comme la Transylvanie ou la Pologne, moins connues dans l’histoire de la Réforme que l’Angleterre, la France ou l’Allemagne.

Un dernier détail. Pour ce qui relève des références bibliographiques, on saluera l’effort de proposer systématiquement, en fin de chaque chapitre, une liste de lectures complémentaires pour approfondir le thème traité. Cette aide bibliographique complète parfaitement les notes de bas de page et permet ainsi d’accéder rapidement aux ouvrages jugés fondamentaux. C’est un plus qui épargnera aux lectrices et lecteurs de précieuses heures de recherche en bibliothèque, ce qui s’avère précieux dans le monde académique.

Henry A. Jefferies and Richard Rex (éds.), Reformations Compared: Religious Transformations Across Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2024, 292 pp.

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Baptiste Werly est assistant en histoire du christianisme à la faculté autonome de théologie protestante de l’université de Genève où il prépare un doctorat sur la discipline ecclésiastique genevoise et, plus particulièrement, la surveillance des jeux à l’époque moderne.

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