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Renouveler l’Eglise

Une journée pour partager l’espérance

Le centre pour la foi et la société de l’Université de Fribourg organisait le lundi 12 mai une rencontre dédiée au renouvellement de l’Église. L’événement s’est tenu dans la Christuskirche de la communauté Jahu à Bienne. Environ 170 personnes y ont participé, rassemblant réformés, catholiques romains et membres d’églises évangéliques.

Conforme à l’orientation théologique du Centre la journée mêlait réflexion théologique, convivialité et spiritualité (prière, louange) dans l’esprit d’une orthodoxie généreuse et accueillante.

La rencontre se voulait une plateforme d’échange entre divers réseaux engagés dans le renouveau ecclésial dans l’espace germanophone (Suisse alémanique, sud de l’Allemagne, Autriche). Elle a aussi permis un dialogue entre acteurs de terrain, responsables d’Église et universitaires – une configuration encore rare à cette échelle, mais qui résulte d’un long travail relationnel mené par le Centre pour la foi et la société.

Ce qui suit propose un aperçu de quelques exemples partagés durant la journée, dégage certaines lignes de force, et soulève quelques questions qui pourraient être discutées plus avant.

Quelques exemples qui nourrissent l’espérance

Plusieurs initiatives locales ont été mises en lumière au cours de la rencontre.

Lukas Kundert, président de l’Église réformée de Bâle-Ville, a présenté l’orientation stratégique adoptée par son Église il y a une vingtaine d’années : développer des communautés aux profils ciblés. Parmi elles : la Tituskirche – un monastère pour les expérimentalistes ; le Zwinglishaus – dans un espace adressé à une population estudiantine post-matérielle ; la Gellertkirche – une communauté évangélique adressée à la bourgeoisie moyenne ; la Matthäuskirche – centrée sur des personnes à bas revenu, avec fort engagement social

Un groupe de professeurs en théologie – Gregor Emmenegger, Ralph Kunz, Regina Frey – ont présenté le projet d’un MAS en « Ecclesial empowerment ». Ce cursus vise à former des laïcs à assumer des responsabilités et à collaborer plus étroitement dans le cadre paroissial. Ce programme attire aussi bien en Suisse qu’en Allemagne. Il participe d’un décloisonnement entre formation théologique et vie ecclésiale, et accompagne une transformation des rôles professionnels en Église.

La communauté Jahu propose une école de disciple pour les 18-30 ans (Master’s Commission). Sur dix mois, les participant-e-s vivent avec la communauté et suivent un parcours structuré autour de trois axes : 1) l’expérience de la foi (au travers de formes variées et le vécu communautaire) ; 2) la réflexion sur la foi (lectures, conférences, carnet de route) ; 3) l’exercice de la foi (inscription dans l’année liturgique, engagements sociaux, prière et accompagnement spirituel, témoignage). L’école rayonne au-delà des frontières suisses et vise à outiller les personnes pour un engagement local.

Enfin, Markus Weimer, doyen pour la circonscription ecclésiastique de Constance (Église protestante de Bade) a présenté a exposé l’approche développée autour de la confirmation. La visée est de tout miser sur ce moment de passage (all in), afin d’en faire l’occasion d’une expérience forte pour les jeunes, au contact avec l’Évangile et d’ouvrir sur un programme de formation jeunesse engageant – qui fait penser aux JACK en Suisse romande. Le résultat est là le nombre de confirmands augmente – alors même que cette Église passe par des crises de renouvellement et des questionnements analogues à ce que l’on peut observer pour les Églises réformées en Suisse.

Quelques lignes de force

À la source : la joie

Le renouvellement dont a témoigné cette journée se ressource dans l’expérience d’une joie débordante. Dans la perspective ecclésiale proposée ici, toute réflexion organisationnelle et stratégique est subordonnée à une impulsion de Dieu qui diffuse dans le quotidien. Le renouvellement jaillit d’une vitalité qui se cultive dans la pratique spirituelle personnelle et communautaire.

La journée donnait en conséquence la part belle à ce partage : il ne s’agissait pas seulement de se laisser instruire par certaines expériences réussies mais de partager – autour du repas, de la rencontre, dans la prière et la louange.

Dans cette perspective, la joie devient le centre de gravité d’un renouvèlement holistique – une joie qui n’ignore pas la difficulté et la plainte, mais qui peut leur faire de la place. En a témoigné la mise en avant de réseaux de soutien et d’entraide, où les différents acteur-trice-s peuvent aborder leurs difficultés entre pairs.

Un réseau décloisonné

Cette journée acte à sa manière l’affaiblissement et peut-être la fin de la segmentation confessionnelle du travail ecclésial. Ces différents témoins du renouvellement plaident pour la coopération œcuménique et l’investissement de plateforme locale – à l’exemple de ce qui peut se faire dans des grandes villes.

Le mouvement est mis au centre, ainsi que l’entretien d’un réseau souple, qui se nourrit du partage de l’expérience et d’une solidarité spirituelle.

Dans une perspective centrée sur la dynamique locale, le réseau donne la possibilité d’une ouverture pour des dynamiques qui pourraient avoir tendance à se fermer sur elle-même. La valorisation du réseau reflète aussi un tournant pragmatique : il existe une pluralité d’outils pour le renouvellement. Le partage des expériences permet de ne pas s’inféoder à un seul d’entre eux.

L’empuissancement de tout le corps de l’Église.

La communication de l’Évangile n’est pas l’affaire d’expert-e-s, mais de tous les membres du corps du Christ. Une conception familière dans le milieu réformé, mais qui ne prend réellement corps que depuis quelques décennies.

De nombreuses interventions ont confirmé cette transition : on passe d’une Église qui enseigne et distribue – gardienne des « clés de la foi » – à une Église fondée sur la participation et le dialogue, où l’autorité se vit de manière plus horizontale.

Les projets présentés avaient en commun l’ouverture de parcours de formation favorisant une foi réfléchie, un engagement concret – qu’il soit cultuel, diaconal ou autre – et une maturation spirituelle, personnelle comme communautaires.

Quelques questions

Un renouvellement centré sur la communauté ?

La communauté joue un rôle important dans la vision des organisateurs de cette rencontre. Elle est le lieu à partir duquel la communication de l’Évangile se déploie dans le monde. Un renouvellement de l’Église sans développement d’une dynamique communautaire forte et ancrée dans une pratique spirituelle quotidienne n’est pas crédible pour cette perspective.

Cette vision peut paraître trop étroite par rapport à d’autres formes de renouvellement, à l’exemple de ce que peuvent offrir des plateformes en ligne comme le RefLab ou des lieux d’expérimentations comme la Maison Bleu Ciel. Non qu’il n’y ait pas de communauté dans ces espaces, mais celle-ci y est plus diffuse, plus lâche, à l’inverse de l’expérience vécue dans des contextes comme celui de la communauté Jahu.

Ces initiatives misent plutôt sur l’exploration personnelle et les parcours individuels. Elles fonctionnent comme des bivouacs : des haltes temporaires, où les repères offerts ne visent pas à ancrer les visiteurs dans un collectif durable, mais à les ressourcer pour leur chemin propre. L’accent y est mis sur l’accueil et la liberté de cheminement, plus que sur la construction d’un corps communautaire structurée et qui dure dans le temps.

Plutôt que d’opposer ces deux visions, il semble plus juste d’y voir des vocations différentes dans le renouvellement de l’Église. Elles dessinent un paysage riche, traversé de zones grises. L’une peut servir d’aiguillon critique à l’autre : la communauté rappelle aux voyageurs l’importance de bâtir des lieux d’hospitalité, ancrés dans un tissu social, culturel et économique ; les voyageurs rappellent aux communautés la nécessité de cultiver l’ouverture, de ne pas se replier sur elles-mêmes – car la foi chrétienne résiste à toute forme de clôture ou d’appropriation définitive.

La gestion des ressources

Cette journée soulève aussi une question cruciale pour les Églises réformées : celle de la gestion des ressources. Le cas de Bâle-Ville en offre un exemple frappant. Là-bas, le processus de renouvellement a commencé par une clarification budgétaire radicale. Un choix audacieux – et provocateur : les revenus issus de l’impôt ecclésiastique sont réservés aux activités de service public (aumôneries, actes ecclésiastiques, etc.). L’édification communautaire doit pour sa part se baser sur d’autres sources de revenu. Or la tendance habituelle est plutôt de ne pas différencier ces flux, ce qui maintient un flou qui entrave la constitution d’une projection réaliste en matière de renouvellement.

Ce modèle rompt avec la pratique habituelle, où les flux financiers restent globalisés, entretenant une confusion qui freine toute planification réaliste en matière de renouveau ecclésial. Il invite à reconnaître que la manière dont on structure un budget influence directement les dynamiques de renouvellement. Cela façonne la vision, oriente l’imaginaire et impacte la motivation des acteurs impliqués.

Le choix fait par cette Église implique également de développer des formes de financement de l’activité auxquelles les Églises réformées sont habituellement réfractaires (fondations, création d’associations, vente de services, valorisation en bourse, etc.). D’ailleurs, Bâle-Ville – tel que Lukas Kundert en a parlé – semble faire un pas de plus dans la provocation, dans la mesure où l’Église cantonale a fait le choix de laisser la gestion des flux à la base et de diminuer le contrôle à l’échelle cantonale.

Ce choix oblige aussi à explorer des formes de financement souvent refusées par les Églises réformées : travail avec des fondations, création d’associations, vente de services, voire valorisation en bourse. Bâle-Ville pousse même la logique plus loin : l’échelon synodal aurait choisi de déléguer la gestion financière à la base, en réduisant le contrôle centralisé.

Ce mouvement entérine la fin d’un modèle de « christianisme de société », où le service communautaire se confondait avec le service public. Quelle que soit la voie suivie, une clarification des flux et une séparation nette entre budget « communautaire » et budget « sociétal » semblent aujourd’hui nécessaires pour favoriser un véritable renouvellement. Ce sujet mérite en tout cas une discussion ouverte au sein des Églises et entre elles.

Une espérance étouffante ?

Toute la journée pourrait être placée sous l’égide d’un verset de la première lettre de Pierre évoqué régulièrement au fil des interventions : « reconnaissez et honorez dans vos cœurs le Christ comme Seigneur. Tenez-vous toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous face à tous ceux qui vous demandent d’en rendre compte. » (3.15)

La source du renouvellement ecclésial se trouve dans un point qui échappe en définitive à toute stratégie, outil de mesure et plan d’action. L’élan qui anime l’Église est un don qui ne peut être provoqué. Mais il initie une disposition spirituelle qui peut être soignée et partagée – qui peut s’étioler par moment, mais dont il ne nous appartient pas de dire qu’elle peut complètement s’effacer. C’est un gros plaidoyer pour un engagement porté par l’espérance.

Mais une question critique surgit : ne fait-on pas l’apologie de la success story ? À force de mettre en avant les réussites, ne risque-t-on pas d’éclipser les échecs, les blocages, la fatigue – tout ce qui fait aussi partie du quotidien de l’engagement ecclésial ? L’histoire de l’Église, après tout, reste marquée par l’ambivalence (simul justus et peccator). Héroïser, la fidélité peut vite devenir un carburant pour le burnout.

À un moment de la journée, des groupes de prière ont été proposés pour porter ensemble les préoccupations des uns et des autres. Une manière simple et concrète (piétiste) de répondre au stress et aux pressions subies par le labeur quotidien. Certains y verront une forme de pratique compensatoire, d’autres y sentiront un risque d’abus. Et en même temps : c’est aussi l’ouverture d’une brèche sur la vulnérabilité qui se trouve au cœur de notre être, qui est la limite à partir de laquelle nous existons, le lieu de l’humanité révélé par Dieu en Jésus-Christ.

Ce moment de prière indiquait peut-être une chose essentielle : le renouvellement ne repose pas sur notre puissance, mais sur le partage d’une espérance lucide, qui expose la réalité de l’Église vécue, l’Église éprouvée et parfois subie – sans laisser cette réalité à elle-même, mais en la portant devant Dieu.

Le renouvellement de l’Église n’est pas d’abord une stratégie. C’est une espérance à partager, une fidélité à habiter au cœur du monde. Cette journée a proposé une promesse : là où des femmes et des hommes prient, réfléchissent, expérimentent ensemble, un renouvèlement circule et grandit. Parfois fragile. Parfois puissant. Porté par une joie qui déborde.

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Blog EERS

Auteur

Elio Jaillet

Elio Jaillet

Chargé des questions théologiques et éthiques - Beauftragter für Theologie und Ethik

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