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François Vouga est un théologien protestant suisse, spécialiste du Nouveau Testament et de Paul, en particulier. S’il est connu en francophonie, son parcours international et ses intérêts variés lui confèrent une posture interdisciplinaire, au carrefour de la théologie, de la philosophie et de la littérature, nourrie par l’influence décisive de Bultmann, Ricœur, Kierkegaard ou Badiou. Ses écrits, exigeants mais engagés, témoignent d’une quête continue pour une anthropologie théologique articulée à une herméneutique existentielle et à une éthique du contemporain.
Issu d’une précédente édition (Les premiers pas du christianisme, 1997), cet ouvrage prolonge, avec une ambition interdisciplinaire et existentielle une interrogation fondamentale : « Si l’on reconnaît sans difficulté la diversité des christianismes primitifs, qu’est-ce qui en constitue l’unité et l’identité propre ? » (Avant-propos, p. 8). La réponse qu’apporte Vouga tient en une conviction structurante : l’unité « chrétienne » ne repose ni sur une dogmatique figée ni sur une tradition homogène, mais sur la reconnaissance partagée d’un événement à la fois fondateur et révélateur (aussi bien individuellement que collectivement) : la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. Selon Vouga, c’est la confiance, plutôt que la « foi » dans cet événement qui offre un socle commun aux textes du NT et sa cohésion à la communauté croyante – l’option pour la « confiance » plutôt que pour la « foi » étant un choix lexical important pour son projet.
L’ouvrage propose une lecture théologique du Nouveau Testament comme un champ dialogique traversé par des voix diverses, parfois dissonantes, qui interprètent une même expérience radicale. Loin d’en lisser les contrastes, Vouga en fait le moteur d’une dynamique de sens : les tensions internes des textes du NT font émerger leur pertinence théologique. Loin d’une simple reconstruction historique ou d’une exégèse close, sa démarche relève d’une herméneutique existentielle où chaque lecture devient un événement, porteur de vérité subjective et transformatrice. La théologie qu’il propose est profondément ancrée dans la condition humaine, articulée autour de la foi comme confiance, de l’espérance et de l’amour, en dialogue constant avec les défis contemporains.
Structuré en huit chapitres, l’ouvrage progresse ainsi : (1) une introduction méthodologique et herméneutique (pp. 17–31), (2) une exploration de l’Évangile comme événement de parole (pp. 33–149), (3) la naissance du sujet croyant (pp. 151–297), (4) une christologie centrée sur la résurrection avant même la croix (pp. 299–429), (5) une réflexion sur l’Église comme lieu dynamique de fidélité (pp. 431–519), (6) un détour par deux figures majeures de la théologie du NT, Baur et Bultmann (pp. 521–539), (7) une relecture eschatologique des textes (pp. 541–605), et (8) une conclusion qui ouvre sur la puissance innovante du christianisme (pp. 607–617). Ce parcours donne à voir, à travers les strates de sens, l’unité d’un message centré sur un événement qui bouleverse l’histoire et transforme l’humain.
Les choix opérés par Vouga expriment sa double filiation : d’un côté, la théologie existentielle de Bultmann et l’approche herméneutique de Ricœur ; de l’autre, une orientation phénoménologique, attentive à la manière dont la parole fonde un sujet humain en dialogue (p. 25). Il refuse une lecture purement spéculative et affirme que chaque lecture est un événement (p. 29), rendu possible par une « promesse d’une présence » (p. 30).
Dans un champ aujourd’hui segmenté, tant par les spécialisations (paulinienne, johannique, etc.) que par les oppositions méthodologiques, cet ouvrage se distingue par sa capacité à combiner les méthodologies et les niveaux (unité et diversité) avec une rigueur historique et critique et un engagement existentiel. On relèvera deux autres apports majeurs de cet ouvrage.
Premièrement, Vouga n’hésite pas à reformuler des concepts-clés : la « foi » devient « confiance », la « justice » devient « relation adéquate à Dieu », le « salut » une « reconnaissance inconditionnelle ». Ces reformulations ne relèvent pas du simple exercice rhétorique, mais ouvrent à une lecture renouvelée du Nouveau Testament.
Deuxièmement, Vouga propose des lectures éthiques et politiques d’une actualité saisissante. L’Évangile, dit-il, « ouvre la perspective d’une mondialisation alternative à celle de l’Empire » (p. 14). L’Église, selon lui, n’est pas un bastion doctrinal, mais un lieu de responsabilité partagée et d’engagement social où se déploie la transformation du monde par la théologie. Une théologie qui écoute, accueille, et agit.
Certaines difficultés de lecture peuvent néanmoins être notées. La densité conceptuelle, couplée à une absence de parcours systématique ou canonique, peut désorienter le lectorat. De même, les transitions entre textes ne sont pas toujours explicites : par exemple, l’analyse de la métaphore du corps dans la section 5.2.1 commence par un parcours à travers les lettres proto-pauliniennes avant de parvenir à la lettre aux Éphésiens, sans que cela ne soit clairement annoncé. Enfin, les dimensions liturgiques ou sacramentelles restent en retrait, ce qui peut surprendre du point de vue théologique.
La relative difficulté d’accès du livre indique plutôt un lectorat si ce n’est érudit du moins averti : théologiennes et théologiens, exégètes, philosophes, savant-es chevronné-es. Mais sa portée dépasse les cercles académiques : journalistes, critiques, spécialistes des soins et de l’éducation, accompagnant-es spirituel-les y trouveront des ressources bienvenues, y compris pour leur étude de l’actualité au prisme de la théologie. Aux biblistes, parfois enfermés dans des lectures strictement historiques ou philologiques, Vouga offre aussi une ouverture importante.
François Vouga, Une théologie du Nouveau Testament, 2ᵉ édition revue et augmentée, Genève, Labor et Fides, 2024, 568 pages.
Luc Bulundwe est docteur en théologie de l’université de Genève et chercheur enseignant au bénéfice d’une bourse du Fonds national Suisse à l’université de Zurich.
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